Je n’écris pas ton nom 20 septembre 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 444 fois | ajouter un commentaire
Les gaulois ne sont pas nos ancêtres.
La terre n’est pas non plus bleue comme une orange.
Léopoldine n’attendait pas vraiment Victor.
Et si ça se trouve, Adam n’est même pas rouge.
Plus rien, évidemment, à écrire sur les cahiers d’écolier, les images dorées, sur les armes des guerriers, sur la couronne des rois.
Les métaphores seront interdites, seules les anaphores seront permises.
François Hollande est en campagne et Najat Vallaud-Belkacem est son prophète porte-parole.
- Quelques notes sur « les armes de l’esprit »
- Ce que Winnicott nous dit sur les cahiers antisémites de Céline
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- "Il n’y aura qu’un seul projet socialiste, qui liera le candidat choisi par les militants"
- Sur la façon dont le gouvernement communique à propos de la réforme du collège
















La diffamation est un cri qui vient de l’Intérieur 27 juillet 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 2 767 fois | ajouter un commentaire
Dire qu’attaquer la compétence de Cazeneuve, en tant que Ministre de l’Intérieur, c’est attaquer l’institution elle-même (pêle-même, « le travail des policiers, des magistrats, leur honneur, etc.. »), c’est toujours, finalement, nous refaire le coup de l’Affaire Dreyfus où le comportement des personnes ne pouvait être mis en cause sans que l’honneur de l’Armée ne fût touché. La France a tranché, heureusement, depuis longtemps sur ce sujet. Attaquer la compétence d’une personne, aussi haut placée soit-elle, ne remet évidemment pas en cause le travail, ni l’honneur, de l’institution elle-même. L’honneur de l’institution est en revanche atteint quand elle essaie, au détriment de la vérité, de masquer les erreurs d’une personne.
Attaquer la compétence du Ministre n’est pas non plus une « vilénie ». C’est un acte presque banal en démocratie. Les termes employés en défense par Bernard Cazeneuve me semblent tout à fait excessifs et parfois presqu’hors propos, quelles que soient les motivations de ses adversaires politiques.
Il y a évidemment plusieurs points sur lesquels Cazeneuve doit se justifier. D’abord, la difficulté à nommer le type d’attentat auquel il avait affaire. Alors que Valls parlait de terroriste islamique dès le lendemain de l’attentat de Nice, Cazeneuve n’osait se prononcer. Puis, devant l’évidence, il a parlé de terroriste radicalisé « très rapidement », presqu’instantanément – on sait qu’il n’en était rien et que le projet terroriste remontait à plusieurs mois. Déni initial, puis déformation de la réalité. Sans même parler des défaillances éventuelles du dispositif, le Ministre devrait pouvoir se justifier, au moins lors d’interviews, sur ce point.
Cazeneuve se répand sur les plateaux en affirmant sa peine, sa motivation, assurant qu’il met toute son énergie en oeuvre pour obtenir des résultats, etc. Mais c’est bien le moins ! On ne doute nullement de sa motivation, on doute de sa compétence. Il y a eu 80 morts, jouer à l’homme blessé dans sa respectabilité a un côté indécent et quand on est Ministre de l’Intérieur, crotte !, on assume les attaques et on y répond « au fond ». Les états d’âme pleurnichards de Cazeneuve n’ont aucun intérêt public.
Depuis 30 ans, y a-t-il eu une instruction sans fuite ? Les fuites de l’instruction sont monnaie courante en France et sans doute (je prends mes précautions) organisées parfois par l’instruction elle-même. Dans ce contexte, la saisie des bandes au nom du secret a un côté presque comique. Autant les confier directement à des journalistes !
Comique aussi (enfin presque, compte tenu du contexte) l’argument employé de la saisie au nom de la préservation émotionnelle des victimes. Les victimes en ont, malheureusement, vu bien d’autres et je ne vois pas bien en quoi la simple visualisation du dispositif policier le soir de l’attentat, au cas où elle fuiterait, serait si traumatisante.
L’enquête en diffamation est confiée au Procureur de Paris et tous les amis politiques du gouvernement louent son intégrité et son indépendance. Mais le Procureur, membre du Parquet, dépend hiérarchiquement du Ministre de l’Intérieur et donc ne peut qu’instruire, par construction, en sa faveur. Seul le juge statuera de façon indépendante. La plainte est déposée par Bernard Cazeneuve en son nom personnel et par le Ministère, mais je n’ai pas connaissance de la moindre déclaration de la policière sur le Ministre en tant que personne et donc en quoi s’estime-t-il diffamé ?
Ajout 21/09/2017: comme on pouvait s’y attendre, le juge a estimé qu’il n’y avait pas diffamation. Bernard Cazeneuve, sans doute un des ministres de l’Intérieur à s’être le plus abrité derrière l’état de droit pour justifier son impuissance, semble bien avoir tenté de passer en force sur ce sujet.
Billets associés :- Du principe de Peter et autres âneries
- Le contrôle au faciès est humiliant, mais n’est pas discriminatoire par nature
- Sur la façon dont le gouvernement communique à propos de la réforme du collège
- Souvenirs de l’Ecole Centrale
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
















Jean-Claude Juncker, vulgaire amoureux déçu. 25 juin 2016
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 1 789 fois | ajouter un commentaire
Jean-Claude Juncker réagit comme le plus vulgaire des amoureux déçus, alors qu’il faut tendre la main.
« Ce n’est pas un divorce à l’amiable mais après tout ce n’était pas non plus une grande relation amoureuse »
L’ignorance totale de la notion de grandeur empêche souvent les dirigeants de prendre les bonnes décisions politiques. On attend maintenant la réaction de Hollande.
Billets associés :- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Comment bien voter le 29 mai
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- « Je ne suis pas Dr House, mais… »
- Vos idées de contribution pour le développement des TICE dans le Nord.
















Ca va vraiment mal pour Yahou 4 mars 2016
Par Thierry Klein dans : Non classé.Lu 2 054 fois | ajouter un commentaire
- Ca y est, Amazon censure les livres
- Pourquoi j’ai du mal avec les associations écolo en général.
- JO : on le sent mal.
- Ca ne convergera jamais…
- Le RGPD nous faisait chier et maintenant il va nous tuer
















Copé, la victime émissaire et le misanthrope 3 mars 2016
Par Thierry Klein dans : Critiques,Politique,René Girard.Lu 2 530 fois | ajouter un commentaire
Copé s’est abondamment présenté, sur tous les plateaux télé, comme une « victime innocente, un bouc émissaire » en précisant bien lourdement qu’il entendait ces termes au sens de René Girard. Pour Girard, les hommes, soumis au désir mimétique, ont tendance à expulser la violence à certains moments de leur histoire en désignant arbitrairement une victime émissaire, en la tuant, puis en la divinisant car, le meurtre de la victime ayant miraculeusement ramené le calme dans les rangs, des pouvoirs surnaturels lui sont ensuite attribués.
Dans les peuplades primitives, la victime émissaire était probablement dépecée et mangée, et le sort de Copé, exclu de l’UMP certes, mais toujours à même de pérorer sur un plateau, reste donc éminemment enviable.
Mais surtout Copé, qui n’a sans doute pas bien lu Girard, s’il l’a vraiment lu, oublie que la victime émissaire n’est, chez Girard, nullement innocente. Elle est désignée, certes, de façon arbitraire mais elle fait partie de la horde dévorante et aurait avec joie participé à la fête générale si une autre victime avait été choisie. La victime est littéralement partie prenante au massacre, parfois même comme Oedipe, convaincue de sa propre culpabilité. Elle n’a pas un statut supérieur aux autres, elle ne détient aucune vérité : elle a juste manqué de bol.
La seule victime innocente, pour Girard, c’est le Christ. Pour les autres, le simple fait de se croire, comme Jean-François Copé, différent des autres, séparé, innocent, incapable de faire le mal, de trahir est un très fort indice d’appartenance à la meute. C’est Pierre, qui a déclaré qu’il ne renierait jamais Jésus – et pour Girard, parce qu’il l’a déclaré, qui justement le renie avant que le coq ne chante trois fois.
Pour Girard, ce meurtre originel est fondateur de toute culture. Nous noterons simplement qu’il ne semble pas avoir augmenté la culture de Jean-François Copé.
Copé a aussi cité, pour preuve de sa grande sincérité, ces vers du misanthrope:
« Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent.
Morbleu : Sorte de jurement en usage
même parmi les gens de bon ton.
Morbleu ! C’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme »
Mais Copé n’a visiblement pas bien lu Molière non plus, s’il l’a vraiment lu. Car ce que la pièce met en évidence, c’est que le misanthrope n’est qu’un accablant donneur de leçons, qui se leurre lui-même sur sa soi-disant sincérité. Célimène, le personnage de loin le plus brillant de la pièce, montre qu’il n’est qu’un snob qui se cache et que sa prétendue misanthropie n’est qu’une posture.
« Il penserait paraître un homme du commun,
Si l’on voyait qu’il fût de l’avis de quelqu’un.
L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes,
Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ;
Et ses vrais sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui. »
Son snobisme est de nature profondément mimétique, au sens Girardien du terme (VRAIMENT Girardien, cette fois-ci). Au lieu de copier le désir d’autrui, le misanthrope l’inverse, ce qui est exactement la même chose et il se cache à lui-même cette dépendance aux autres. Ce n’est pas un hasard si Girard a découvert sa théorie sur le désir mimétique dans quelques grandes œuvres de la littérature.
Le misanthrope, sous le coup du désespoir il est vrai, pousse même la bassesse d’âme jusqu’à tenter de corrompre Célimène et lui demande de lui mentir, ce qu’elle refuse:
« Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
Et je m’efforcerai, moi, de vous croire telle. »
Bref, si on s’en tient aux déclarations de Jean-François Copé, il est difficile de savoir s’il a changé ou pas. Il est facile, cependant, de prouver qu’il n’a pas compris les oeuvres qu’il cite.
Billets associés :- René Girard : l’avenir imprévu d’une illusion
- René Girard, Kundera, Galilée et le Progrès : l’avenir imprévu d’une illusion
- Milan Kundera a lu René Girard !
- Les formes élémentaires de l’aliénation (réponse à Enzo)
- René Girard, Freud et le Pape
















René Girard, Kundera, Galilée et le Progrès : l’avenir imprévu d’une illusion 6 novembre 2015
Par Thierry Klein dans : René Girard.Lu 2 894 fois | ajouter un commentaire
Il avait été finalement, bien tardivement, élu à l’Académie française. Mais il n’a jamais pu enseigner en France. Dès le départ, il faut donc signaler ceci: l’Université française a fait subir à René Girard ce que l’inquisition catholique n’a jamais imposé à Galilée – une censure quasi totale.
Un des grands découvreurs de l’Humanité, au même titre que Newton ou que Freud, a finalement enseigné à Stanford où j’ai eu la chance, au début des années 90, de suivre quelques uns de ses cours. Son oeuvre écrite est extrêmement claire et articulée autour de quelques découvertes fondamentales, telles que le désir mimétique ou les mécanismes victimaires à l’oeuvre dans la violence. C’est un des seuls grands penseurs modernes qu’on peut lire presque sans aucune référence et sans explication externe. Vous ne pouvez pas faire ça, par exemple, avec Freud qui invoque à tout moment « l’expérience thérapeutique », ni avec Bourdieu, Derrida ou Lacan qui, sans formation préalable appropriée (et parfois même avec !), sont presqu’incompréhensibles.
« La Violence et le sacré » et « Des choses cachées depuis la fondation du monde » exposent l’essentiel de ses théories tout en effectuant une lecture critique et comparative de la psychanalyse, de l’anthropologie et des religions. Les autres œuvres philosophiques seront ensuite des variations sur les mêmes thèmes ou des illustrations de ces thèmes. Pour ceux qui s’intéressent à la littérature, René Girard est l’auteur d’un des meilleurs livres jamais écrits sur le roman « Mensonge romantique et Vérité Romanesque » et du meilleur livre que j’ai pu lire sur Shakespeare « Les feux de l’Envie ». « Mensonge romantique », où il découvre à travers la littérature le désir mimétique et le lyrisme romantique (que Kundera appellera plus tard « le Kitsch »), est une analyse structurale comparative de quelques grands romans (de Don Quichotte à Flaubert) que vous ne lirez plus jamais de la même façon après Girard. « Les feux de l’Envie » est une recherche systématique brillantissime des “indices” de la théorie mimétique dans l’oeuvre de Shakespeare et de Joyce.
Le renversement de la preuve religieuse
René Girard, c’est surtout celui qui “renverse la charge de la preuve” en matière de religion dans notre monde moderne. Dans “L’avenir d’une illusion“, Freud montre le lien entre toutes les religions : elles sont des illusions. Le sorcier qui danse pour faire pleuvoir est dans l’illusion (même s’il pleut après sa danse, le lien entre la danse et la pluie qui s’ensuit ne peut être scientifiquement établi). Une “illusion” n’est pas une “erreur”. Vous ne pouvez pas, vous non plus, montrer que le sorcier n’a pas fait pleuvoir. Mais une fois que Freud vous a parlé du sorcier dans la religion primitive, et rapproche son comportement de celui du croyant ou du prêtre dans les religions bibliques, vous constatez que tous sont indubitablement dans l’illusion et évidemment la crédibilité du croyant moderne en prend un sacré coup. Freud montre aussi que les religions sont bâties sur des histoires de meurtre qui fonctionnent exactement comme dans les mythes. Pas de raison, donc, d’y croire ni plus ni moins qu’on croit aux mythes.
L’entreprise de Freud est une des formes les plus réussies, au final, de dénigrement de toutes les religions, non pas en montrant l’inexistence de Dieu – cette inexistence est du domaine de l’indémontrable – mais en rapprochant de façon extrêmement éclairante les mécanismes communs à toutes les religions, ce qui rabaisse finalement les religions du Livre au rang de pure sorcellerie (avec forte tendance névrotique en sus).
Durant toute la durée du XXème siècle, la révélation freudienne a constitué la théorie la plus convaincante en matière d’interprétation du mécanisme religieux. Les esprits les plus éclairés, les plus indépendants ont été naturellement non religieux, un peu comme au XVIIème, les mêmes esprits étaient coperniciens. Ces mêmes esprits éclairés ont été aussi progressistes (Kundera rappelle que les communistes tchèques rassemblaient au départ la meilleure partie de la population du pays, la plus dynamique, la plus éclairée, la plus avancée). Opposition à l’Eglise, volonté de progrès, avance intellectuelle face à des esprits conservateurs la plupart du temps peu éclairés – tout ceci a été – et est encore – lié non seulement depuis Freud, mais depuis Galilée. Qu’on soit croyant ou pas, l’analyse de Freud s’impose à tout être pensant.
Mais René Girard, qui est un penseur “chrétien”, découvre alors la différence structurale fondamentale entre les religions tirées de la Bible et toutes les autres religions, ainsi que tous les mythes. Cette différence, c’est que les mythes (ou les “fausses” religions) se réduisent à des traces de meurtres ou de massacres racontés par les meurtriers (les “forts”), alors que la Bible effectue une révolution copernicienne en prenant dès l’origine (le meurtre d’Abel) le point de vue des faibles et en les défendant. La Bible et tous les mythes parlent bien de la même chose – comme Freud l’a montré – mais pas de la même façon. Et c’est ce point de vue qui rend les religions du Livre unique et les différencie du mythe. Qu’on soit croyant ou pas, l’analyse de Girard est incontestable et aujourd’hui, si vous êtes un intellectuel, vous êtes forcé de reconnaître qu’il y a une spécificité biblique (cette spécificité est particulièrement inconfortable à vivre si vous n’êtes pas croyant).
Bien sûr, vous trouverez toujours des intellectuels qui n’adhèrent pas à cette analyse, mais vous pouvez les ranger dans la même catégorie que ceux qui rejetaient Freud a priori sans l’avoir bien lu: ce sont, comme le “Simplicio” de Galilée, de purs conservateurs qui disent aimer la connaissance mais ne recherchent au fond que la confirmation de de leurs idées préétablies. Beaucoup d’intellectuels français sont dans ce cas (Najat Vallaud-Belkacem ne les traitera jamais de « pseudo-intellectuels », eux). On peut même parler de mouvance majoritaire – et c’est une des raisons pour laquelle la reconnaissance de René Girard a été si tardive et s’est d’abord effectuée à l’étranger.
D’une certaine façon, René Girard a lui-même amplifié le phénomène de rejet en revendiquant le caractère chrétien, voire hagiographique de son oeuvre, avec une certaine délectation de polémiste. Il y a d’ailleurs une évolution entre les premiers ouvrages, qui sont présentés comme des analyses objectives conduisant à une spécificité biblique mais où le côté apostolique de l’auteur est masqué et les ouvrages plus récents où l’aspect hagiographique est plus clairement revendiqué. En outre, l’analyse de Girard conduit à privilégier nettement la religion chrétienne parmi les religions bibliques car René Girard effectue une analyse très poussée et totalement originale de la Passion du Christ présenté comme un exemple particulièrement pur et “révélateur” de la position du Faible. Là encore, la force de l’analyse est indéniable et induit “mécaniquement ” le lecteur à une hiérarchisation des religions où la religion chrétienne serait une sorte d’aboutissement ultime de la religion juive. C’est une thèse classique de l’Eglise qui a conduit des milliers de juifs au bûcher où à la conversion forcée au moyen-âge. L’oeuvre de René Girard est donc naturellement revendiquée par les clans catholiques les plus conservateurs et bornés.
Si Galilée avait eu tort
Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, on peut tenter d’imaginer ce qu’il serait devenu si Galilée avait eu tort. Il faut se souvenir que Galilée n’apportait nullement, à l’époque, la preuve de ses affirmations et que ses thèses étaient beaucoup plus contestées que ne l’est aujourd’hui, par exemple, la thèse du réchauffement climatique. Sur certains aspects, Galilée se « plantait » même royalement et ses « Dialogues sur les deux systèmes du monde » fourmillent de graves erreurs, sans parler de leur partialité qui lui a valu sa condamnation. Si Galilée, donc, avait eu scientifiquement tort, sa condamnation serait apparue comme justifiée et la science, ainsi que probablement les sciences humaines, se seraient durablement rangées du côté des religions. Les progressistes (je nomme ainsi tous ceux qui ont foi dans le Progrès, et je les oppose à ceux qui ont simplement espoir dans le Progrès ou qui sont réservés face au Progrès) seraient du côté des religions. Et tout ceci serait, somme toute, dans l’ordre naturel des choses, puisque le progressisme est une foi, c’est-à-dire de façon ultime une position religieuse.
Par opposition, aujourd’hui, les progressistes (ceux qui croient au sens de l’histoire) se situent avant tout à gauche et leur conviction est basée de façon ultime sur l’opposition à la religion, vécue comme un conservatisme (la religion est une illusion nocive, autrement dit, un opium). A droite, les libéraux croient aussi que le progrès est obtenu par le libre jeu du marché mais l’acteur ultime de cette pièce est « l’homo economicus », une sorte d’extra-terrestre improbable dont tous les choix sont de nature économique, autrement dit, un être sans Dieu.
Les notions de Progrès et de croyance sont devenues beaucoup plus fructueuses pour comprendre l’échiquier politique que les notions de droite et de gauche.
Les progressistes, qui se voient comme des opposants éclairés à toute religion, refoulent encore le côté religieux qui vit caché au plus profond d’eux, et une grande confusion en résulte. L’extrême-gauche, la gauche et la droite dite libérale, qui constituent l’essentiel de qu’on appelle « le front républicain » sont avant tout un « front progressiste ». Dans la famille des « conservateurs » (j’appelle ainsi ceux qui ne croient pas au progrès et je rappelle que cette non-croyance a priori, comme la croyance, reste une position religieuse), je nomme la plupart des Verts, une bonne partie de la Droite bonapartiste et le Front National. J’appelle « rationnels » tous ceux qui n’ont qu’une confiance limitée dans le progrès ou qui veulent simplement « jouer pour voir ». Les « rationnels » représentent la majorité des français : problème, ils sont minoritaires à l’intérieur de chaque parti.
Kundera, dans le livre du rire et de l’oubli
:
« Moi aussi, j’ai dansé dans la ronde. C’était en 1948, les communistes venaient de triompher… nous avions toujours quelque chose à célébrer, les injustices étaient réparées, les usines nationalisées, es milliers de gens allaient en prison, les soins médicaux étaient gratuits… Nous avions sur le visage quelque chose du bonheur… Puis un jour, j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas dire, j’ai été exclu du parti et moi aussi, je suis sorti de la ronde. »
Si vous n’êtes pas « progressiste », l’inquisition vous rattrapera a coup sûr et vous serez traité de « conservateur » – l’injure suprême. Aujourd’hui, tous les rationnels sont perçus comme conservateurs et beaucoup croient même qu’ils le sont, exactement comme (exemple emprunté à Girard), certaines sorcières du moyen-âge étaient convaincues de l’être et donc approuvaient leur propre condamnation. Mais si la croyance de la sorcière en sa culpabilité tient de la pensée magique, elle ne rend pas la sorcière elle-même magique, ni coupable. De même (autre exemple emprunté à Girard), le fait qu’Oedipe croie en sa culpabilité ne le rend pas coupable. Oedipe est, au sens propre, « convaincu de sa culpabilité » mais l’idée qu’il soit, par exemple, responsable de l’épidémie de peste tient du magique. Girard voit ceci. Freud non.
La crise politique actuelle: l’incompréhension du fait que que le progressisme est une religion.
Billets associés :- René Girard : l’avenir imprévu d’une illusion
- Ci-gît le progressisme [1633-2020]
- Non, Mr McAuley, vous n’avez pas compris l’idéal français.
- Sur Onfray, sans l’avoir lu
- Milan Kundera a lu René Girard !
















Sur la façon dont le gouvernement communique à propos de la réforme du collège 12 mai 2015
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 3 659 fois | ajouter un commentaire
Ce premier billet sur la réforme du Collège traitera exclusivement de la forme (c’est-à-dire du style de communication employé par le Ministère). Les arguments de fond seront développés dans d’autres billets à venir.
Un des arguments principaux de la Ministre de l’Education Nationale sur cette réforme est que les « pseudo-intellectuels » l’ont mal lue ou même (honte à eux !) pas lue du tout, alors que toutes les informations étant disponibles sur le site de l’Education Nationale, » il est possible à chacun de les consulter et de se faire sa propre idée en connaissance de cause ».
Une réforme en réalité peu accessible (pour ne pas dire inaccessible).
La réalité est un peu différente. Sur le site de l’Education Nationale, vous tombez immédiatement sur une suite d’articles de vulgarisation (pour ne pas dire simplistes) et d’infographies (pour ne pas dire bandes dessinées) justifiant la réforme des programmes. Ces articles sont, au sens propre du terme, des articles de propagande puisqu’ils servent à vous vendre la réforme en une page ou deux sans renvoyer, ne serait-ce que sous forme de lien, vers le contenu précis de la réforme.
Certains liens du site du Ministère renvoient même directement vers le site personnel dédié à la promotion de la Ministre, bref la confusion entre information et propagande est totale.
Pour accéder au texte intégral de la réforme, j’ai dû, il y a trois semaines, passer quinze bonnes minutes à naviguer sur le site de l’Education Nationale. Ce qui veut dire que sans un intérêt aigu, de nature presque professionnelle pour le sujet, j’aurais renoncé à chercher le programme et me serais contenté des messages de propagande. J’estime que plus des 95% des visiteurs du site ont fait de même[1] et donc n’ont pas eu accès au texte intégral de la réforme.
Je ne sais pas si cette dissimulation de fait est le résultat d’une volonté politique, d’une simple incompétence ou du besoin inconscient de masquer les textes originaux tellement, nous le verrons dans les prochains billets consacrés au fond de cette réforme, ceux-ci contredisent en tous points les déclarations de la Ministre et les articles d’explication du site de l’Education Nationale.
[Ajout 11 mai : La grande honnêteté qui me caractérise, probablement couplée au fait que je suis tout sauf un pseudo-intellectuel, m’oblige cependant à préciser que depuis ce matin, la réforme est accessible en 3 clics à partir du blog des actualités du site.]
Une réforme peu lisible (pour ne pas dire illisible).
Peut-être beaucoup de pseudo-intellectuels n’ont-ils donc pas lu la réforme. Il leur sera cependant beaucoup pardonné car le texte intégral en est, en grande partie, illisible – c’est à se demander si lui aussi n’aurait pas été rédigé par des pseudo-intellectuels ! Je reprends quelques exemples pour la plupart déjà largement publiés dans la presse, car c’est toujours bon de rire un peu.
« traverser l’eau en équilibre horizontal » (en français ancien, signifie « nager »)
«vaincre un adversaire en lui imposant une domination corporelle symbolique et codifée» (en franco-anglais ancien, « match »)
« produire des messages à l’oral et à l’écrit » (en français ancien, signifie écrire et parler)
« aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs » (intraduisible. La langue française n’est visiblement pas assez riche pour traduire la profondeur insondable de la pensée des rédacteurs du programme).
« l’éducation aux media, organisée de façon spiralaire » (les mots me manquent là aussi pour bien vous faire sentir toute la profondeur du concept. Mais je ne suis probablement qu’un pseudo-intellectuel).
On est bien sûr ravi de noter que « «l’inflation terminologique doit être évitée» (programme de français). Et on se demande ce qu’il en aurait été dans le cas contraire.
Un texte de réforme sans véritable contenu spécifique.
Personne à ma connaissance n’a encore remarqué ce point : la réforme, telle qu’elle se présente, manque tellement de précision qu’elle ne peut être valablement contredite.
Dans certaines matières, les textes sont tellement vagues qu’ils ne définissent en fait pas grand-chose. Par exemple, dans le projet de programme pour le cycle 4 du 9 avril et qui ne compte pas moins d’une soixantaine de pages, je vous invite à aller consulter le programme de français (pages 10 à 16) pour constater qu’au final, ce programme n’impose rien au professeur (c’est la liberté pédagogique poussée à son summum). Six pages touffues et jargonnantes sans imposer aucune œuvre spécifique à lire (puisqu’on doit simplement « puiser dans toutes les époques » !).
Et je défie, par exemple, quiconque de pouvoir vérifier qu’en fin de cycle l’élève sait « Mobiliser en réception et en production de textes les connaissances linguistiques permettant de construire le sens d’un texte, le rapport au genre littéraire, à la forme de discours, au type de texte. »
Le cas du programme d’histoire.
Le programme d’histoire / géo s’étend lui sur 5 pages. Nous sommes contents d’apprendre, dans les deux premières que les heureux élèves devront « se repérer dans le temps » et « se repérer dans l’espace ». Ils sauront « comprendre et analyser un document », « raisonner » et « pratiquer différents langages en histoire / géographie » , « coopérer » et « mutualiser ». La description de ce que signifient exactement tous ces termes prend 3 pleines pages, écrites de telles façons qu’elles pourraient s’appliquer aussi bien à des élèves de licence que de CM1 (autrement dit, ce sont des déclarations d’intention vagues et non spécifiques, qui n’engagent aucun enseignant à rien).
Le programme d’histoire lui-même (thèmes étudiés) tient sur moins d’une page (pour 3 années d’étude !). La moitié des thèmes proposés sont facultatifs.
Au final, si on enlève du programme les déclarations d’intention, les objectifs (si vagues, jargonnants et prétentieux qu’il n’en sont pas), et toutes les parties non spécifiques qui ne définissent absolument rien, la réforme des collèges tient dans cinq à dix pages –elles même très floues et imprécises.
L’Administration au pouvoir
Le fait qu’il n’y ait « rien » dans ce texte, sert un double objectif politique. Celui du Ministre, qui devra non pas enlever des parties du texte mais en rajouter pour neutraliser certaines critiques et arriver à un compromis sans avoir le moins du monde l’air de reculer. Divers points de repli ont visiblement été prévus et Najat Vallaud-Belkacem, depuis une semaine, « consulte » et communique sur le fait que les programmes demandent à être « tout simplement discutés et précisés ».
Celui de l’Administration, qui a écrit ce texte pour son propre compte, dans sa propre langue si caractéristique, et qui de fait dirigera son application. Comme le texte ne dit rien, toute latitude lui est ainsi laissée pour l’interpréter « comme il faut » et orienter la future politique éducative. Les ministres passent, l’administration de la rue de Grenelle reste.
Qui n’a pas d’objectif ne peut pas échouer.
Dans cinq ans, si la réforme s’applique, personne ne pourra jamais prouver son succès ou son échec puisqu’elle n’aura jamais été réellement définie.
Ainsi, en rédigeant ce modeste billet, j’ai probablement « fait preuve d’esprit critique », satisfaisant en ceci l’esprit et la lettre du programme d’histoire du cycle (page 37) mais j’avoue que je ne sais pas si j’ai bien « mobilisé ma sensibilité pour questionner la part du subjectif et la portée intellectuelle et morale des stéréotypes de représentation » (ce qui est pourtant une compétence attendue en fin de cycle 4, p 26).
Je prédis donc sans aucun risque de me tromper que Ministère et pseudo-intellectuels pourront sans aucun problème continuer à s’invectiver dans les prochaines années.
Non seulement il sera impossible à quiconque de juger du succès de cette réforme, mais il sera aussi impossible, avant trois années complètes, de valider les progrès des élèves. Le cycle 4 porte maintenant sur trois années (5ème, 4ème, 3ème) et donc les programmes tels qu’ils sont définis portent aussi sur 3 années. Le redoublement est devenu presqu’impossible mais ce n’est qu’en fin de 3ème qu’on pourra (peut-être, car rien n’est prévu) constater les éventuels décrochages.
Jamais autant de volonté d’égalité (affichée) n’aura généré autant d’inégalité de niveau (sur le terrain).
- L’e-learning et le goût du RISC / E-learning and the taste for RISC
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Comment Nespresso transforme Wikipedia en brochure publicitaire
- Comment Internet contribue au rétrécissement du savoir
- Les TICE aux Pays des Merveilles
















« Redonnons du pouvoir au consommateur », ou la bêtise d’une loi 3 novembre 2014
Par Thierry Klein dans : Politique.Lu 3 261 fois | ajouter un commentaire
Dans un pays pas assez compétitif, toute distribution de pouvoir d’achat se finit par un appauvrissement. Les biens supplémentaires achetés sont des biens importés (parce que le pays n’est pas compétitif) et donc la distribution de pouvoir d’achat se traduit en déficit commercial et bientôt, pour la France, en augmentation de la dette.
Pour relancer, il faut être fort, ou fermé
Pour cette raison, les politiques de relance n’ont de sens que si le pays est compétitif (auquel cas les biens importés seront en quantité faible) ou si le pays est fermé aux importations. C’est le paradoxe de toutes les politiques depuis 30 ans: plus on relance, plus on s’appauvrit et aucun gouvernement n’a été assez fort pour imposer l’une ou l’autre des 2 conditions ci-dessous: une rigueur préalable, permettant de gagner en compétitivité ou un protectionnisme fort, permettant de fermer les frontières.
Quand l’idéologie le dispute à la bêtise
La loi Hamon qui a pour objectif démagogique annoncé de redonner du pouvoir aux consommateurs (alors qu’un des maux du siècle est précisément que ces consommateurs ont, via la mondialisation, acquis déjà beaucoup trop de pouvoir) aura un effet quasi-nul sur la consommation en ce qui concerne par exemple la mise en concurrence des notaires. Les notaires sont des gens aisés, mais leurs clients (particuliers et entreprises) le sont aussi. Robin des Bois moderne à la sauce mondialisée, Benoît Hamon prend aux riches pour donner aux riches. Pour des raisons purement idéologiques, on déplace, au mieux, la valeur ajoutée de la filière en rendant la situation des clients plus favorables. (Au pire, on désorganisera l’immobilier en supprimant le tiers de confiance assermenté qu’est aujourd’hui le notaire).
Beaucoup moins drôle: la loi Hamon est d’une inconséquence rare et nuisible en ce qui concerne les dispositions permettant aux avocats de faire de la publicité.
La plupart des avocats sont constitués en très petites entreprises ou en entreprise individuelle. Leur permettre de faire de la publicité ne peut que faire monter le prix des prestations. Surtout, cela signifie qu’à terme, des entreprises très capitalisées (qui seront probablement de grands groupes anglo-saxons) vont se développer et récupérer l’essentiel du marché (il faudra 5 à 20 ans pour ceci et Hamon n’en sera pas tenu pour responsable).
Que se passera-t-il à ce moment là ?
– Le consommateur paiera ses prestations juridiques de plus en plus cher,
– Les investissements publicitaires seront faits essentiellement via de grands groupes (Google Adwords) qui délocalisent leurs profits,
– Les bénéfices des sociétés d’avocats seront faits par des multi-nationales qui exporteront aussi leurs profits,
– Les avocats, dont l’exercice et la consommation actuels ne sont pas délocalisables, seront progressivement paupérisés avec un pouvoir d’achat inférieur.
Et donc, au final, l’effet recherché de relance sera on ne peut plus négatif.
Billets associés :- Capital Altruiste : année zéro
- Interview : six questions sur le Capital Altruiste
- Les formes élémentaires de la névrose (3) : l’aliénation consommatrice
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Un site de "class actions" à la française
















50 milliards de litres d’eau dans l’Océan Pacifique (la méthode Valls) 16 avril 2014
Par Thierry Klein dans : Economie,Politique.Lu 6 610 fois | ajouter un commentaire

Imagine, chez lecteur, qu’un jour Manuel Valls t’affirme, la tête haute, le regard franc, bref les yeux dans les yeux comme on dit, qu’il y a 50 milliards de litres d’eau dans l’Océan Pacifique. Confiant comme tu es, cher Lecteur, tu ne demandes évidemment qu’à le le croire. Mais au bout de quelques jours, tu as comme un doute et tu lui demandes quelques précisions: Manuel, dis-moi donc, comme arrives-tu à ce chiffre ?
Manuel a l’air un peu embêté, te demande quelques jours de délai puis te répond:
« Voilà pourquoi, je vais te donner le détail du calcul. Eh bien, il y a 25 milliards de litres dans le Pacifique Nord et 25 dans le Pacifique Sud. Au total, cela fait bien 50 milliards. Le compte y est, je te le dis et te le redis avec force. Le calcul est juste. »
Cette méthode, c’est exactement celle que Manuel Valls a utilisée dans sa communication sur le plan d’économies que l’Etat compte, soi-disant, mettre en place. 18 milliards d’économies seront réalisées par l’Etat, 11 par les collectivités territoriales et 21 par la santé.
Mais les masses restent énormes et aucune justification des sommes annoncées n’est mise sur la table (le gel du point d’indice, des retraites expliquent au mieux 10% des sommes totales). L’annonce des sommes n’est rien, la difficulté opérationnelle est tout (sans compter que certaines économies, comme celles des collectivités locales, ne dépendent pas de l’Etat lui-même !
De même qu’on ne peut pas savoir combien de litres d’eau il y a en coupant le Pacifique en deux, parce que chacune des parties ainsi obtenues reste aussi difficile à mesurer que le tout, de même il n’y a pas le début du commencement d’un plan dans l’annonce de Manuel Valls (et tous ceux qui sont opposés aux économies peuvent dormir tranquilles).
Billets associés :- Mac Kinsey : l’enfant monstrueux de la gauche, de la droite, de l’Europe et d’Hollywood.
- 1 litre de Volvic, 10 litres au Sahel: l’action humanitaire hypocrite.
- Pourquoi les entreprises en faillite doivent être nationalisées.
- La vraie victoire de Ben Laden
- Quelques causes morales de la crise des élites françaises
















Comment un message se transmet-il ? 19 septembre 2013
Par Thierry Klein dans : Humeur.Lu 14 787 fois | ajouter un commentaire
Mon discours (lu par ma mère en mon absence) à l’occasion de la remise de la médaille des Justes parmi les nations à Mr et Mme Mandon, cérémonie organisée par le comité Yad Vashem le 22 août 2013 à Lamastre.
J’ai toujours un sac de jute dans mon bureau.
Pendant toute mon enfance, j’ai entendu les « légendes » liées à Lamastre. J’ai toujours su que mes grands- parents et mon père s’y étaient cachés pendant la guerre, avaient été accueillis par « Les Mandon » qui leur avaient sauvé la vie à plusieurs reprises.
Mon père nous racontait des histoires de sauvetage – à l’école, lors d’une rafle ou cachés dans les bois – aventures qui, avec le recul des ans prenaient parfois un tour comique dans le style de la grande vadrouille puisque, pour ma famille du moins, tout s’était bien terminé. Il m’a fallu des années pour comprendre à quel point ce qui s’était passé à Lamastre m’avait marqué, moi qui pourtant n’avait rien vécu des peurs de la guerre . Et le côté vraiment exceptionnel et universel de se qui s’ y est joué, je ne l’ai saisi que bien plus tard encore, après la mort de mon grand-père.
Ce qui est exceptionnel dans les actes de résistance des Mandon, ce qui les rend encore plus grands, c’est qu’ils ont eu lieu « tout simplement », sans jamais être revendiqués. Jamais les Mandon n’ont prétendu donner l’exemple, jamais ils n’ont chercher à rendre leur sauvetage public, à ce qu’il soit l’objet d´un livre, d’une émission de télé ou tout simplement d’un devoir de mémoire.
A tel point qu’il y a un côté incongru ou sacrilège à tenir aujourd’hui une cérémonie qu’ils n’ont pas exigé et dont peut être ils n’auraient pas voulu.
Ce que les Mandon ont donné est au delà de toutes les cérémonies mais il reste important pour nous tous, y compris pour nos enfants, de savoir qu’ils ont su se dresser dans un but simplement altruiste, humanitaire, moral sans aucune attente de récompense, de remerciement, ni même aucune attente de reconnaissance.
Cette absence de toute revendication fait bien partie du message et est une des raisons pour lesquelles les actes des Mandon touchent à ce qu’il y a de plus grand, de plus universel dans l’expérience humaine.
Au moment où l’Europe était emportée par des torrents de propagande, de haine et de violence, le soleiĺ ne s’est jamais complètement couché sur Lamastre. Les Mandon ont éclairé cette immense tragédie d’une lumière qui en rachète l’horreur et l’amertume et nous permet de garder foi en l’homme . C’est ce qui fait d’eux,au sens biblique du terme, des Justes. Ce qui nous reste de cette guerre 70 ans plus tard, et pour l’éternité n’est plus la désolation, mais une immense admiration, une immense espérance, qui pourra nous stimuler et nous encourager.
« Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, que la ville brûlé mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– Demande au mendiant, il le sait.
– Cela à un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore. » Jean Giraudoux, Électre.
- Pourquoi un sac de jute, au mur, dans mon bureau ?
- Quelques notes sur « les armes de l’esprit »
- De Rawls à Macron, en passant par l’école. De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?
- Petit discours évangélique et dialectique sur la repentance, la guerre d’Algérie, Macron et l’islamisme
- Mac Kinsey : l’enfant monstrueux de la gauche, de la droite, de l’Europe et d’Hollywood.















