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Rien sur Matzneff 30 décembre 2019

Par Thierry Klein dans : Littérature.
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Sur Apostrophes

Pivot devait-il inviter Matzneff ? Bien sûr. Matzneff n’est sans doute pas un grand écrivain mais des dizaines d’écrivains plus médiocres ont participé à Apostrophes. Matzneff a donc sa place chez Pivot – et sans doute aussi en prison, c’est évident si ce qu’il a écrit est basé sur le réel, mais Pivot n’est pas flic.

Apostrophes a été une émission immense – parfois, comme lorsqu’on a vu une bonne pièce ou lu un bon livre, on pouvait se sentir meilleur, comme grandi, à la fin de l’émission. Immense mais fragile, fruit d’une époque où on pouvait encore discuter et du hasard (Pivot). Il est possible, pas certain, qu’on retrouve un jour un autre Pivot, qui sait ?, mais je crains que notre époque ne permette plus ce genre d’émission. C’est une grande perte – plutôt que de taper dessus comme on le fait, on devrait tout faire pour tenter de recréer ses conditions d’existence.

Dans l’émission incriminée d’Apostrophes, Denise Bombardier ne vient pas « rompre un badinage mondain » comme j’ai pu le lire mais donne courageusement son point de vue, point de vue très pertinent d’ailleurs. Pivot la laisse parler, il ne la décrédibilise en rien. Il n’y a pas eu unanimité sur le plateau et la liberté de penser a donc été respectée.

Pivot en tant qu’animateur était bonhomme jusqu’à l’outrance, bienveillant envers ses invités et aussi très distancié (ce mélange réussi, couplé à une préparation minutieuse qu’il arrivait à faire oublier, constituant sa marque de fabrique). Il n’a expulsé Bukowski que contraint et forcé, quand celui-ci est devenu physiquement violent; il n’est pratiquement pas intervenu non plus quand Gainsbourg insultait Béart, etc.

Mon objectif n’est pas de défendre Matzneff; sa place est sans doute en prison (ce qui pourrait lui être profitable sur le plan littéraire, après tout, Sade s’est révélé à la Bastille). Simplement, cette émission devait-elle avoir lieu ? Et a-t-elle été bien menée ? Je réponds oui aux deux questions.

A quoi sert la littérature ?

L’objectif de la littérature est d’explorer le réel, pas de nier le réel. En voulant la transformer en une entreprise d’édification morale, on la tue à coup sûr et on ne fait strictement rien pour la morale, pas plus qu’on n’améliore la situation d’un bâtiment pourri en en repeignant les murs. Au contraire, c’est en examinant la situation réelle, la cause des pourritures (sans oublier tout ce qui fait que le bâtiment tient) que vous pouvez espérer, peut-être un jour, améliorer la situation du bâtiment. J’écris « peut-être » parce que le bâtiment est peut-être irréparable, mais en tout état de cause, votre seule chance, c’est de l’examiner en profondeur. Et de même, vous ne pourrez pas améliorer l’être humain, si tant est qu’il soit améliorable, avec des fausses morales édifiantes basées sur la négation du réel.

(Comme le dit Denise Bombardier à Matzneff, « la littérature ne doit effectivement pas servir d’alibi ». En revanche, elle se trompe quand elle dit qu’il y a des limites à la littérature).

Ce n’est donc pas la pédophilie que Pivot a défendu mais la littérature, et une certaine forme de liberté d’expression qui lui est nécessaire. La littérature en tant qu’exploration du champ des possibles humains. Le sadisme, la pédophilie ne peuvent en être a priori exclus. Lolita, c’est dégueulasse aussi, pourtant c’est un grand livre. Tout n’est pas simple. Comprendre ceci, c’est en fait savoir lire.

Et pour finir, il y a cette curée obligée, tous ces idiots qui semblent n’avoir jamais réfléchi ni lu. Socrate couchait avec ses esclaves, entre Montaigne et La Boétie ce n’était pas rose, passez moi l’expression, tous les jours, Rousseau maltraitait ses enfants, Voltaire investissait chez les négriers, Aragon et Picasso étaient des monstres conjugaux, etc. Où s’arrêtera-t-on ? Cette situation ne profite qu’aux démagogues conscients ou inconscients (voir le Ministre de la Culture qui flatte son gros animal, je fais référence à Socrate, en déclarant qu’il va reconsidérer la bourse de Matzneff et que les victimes doivent composer le 119 !).

L’illusion du social

Mais pour les accusateurs en herbe, ce combat dépasse Matzneff ! C’est tout son monde qui est coupable (voir ici dans Mediapart ou ci-dessous, Françoise Laborde, qui évidemment laissera une trace immense dans l’histoire de la télé et, ex-membre du CSA, n’appartient à aucune caste…).

L’impunité de Matzneff devient le symbole de « la lutte des pauvres contre les puissants », d’une « connivence entre gens du même monde », d’une « appartenance à une pseudo élite intellectuelle ». Les mêmes qui ont toléré Matzneff au nom du social (pensant, dans les années 80, que la prévention contre la pédophilie était d’origine socio-culturelle) le condamnent aujourd’hui au nom du social (en tant que représentant fantasmé de sa classe élitiste et forcément corrompue, whatever that means).

Pensant corriger leur erreur, ils la répètent. Ainsi, nous ne pourrons, au final, plus être gouvernés que par les Tartuffes qui sauront le mieux surfer sur les indignations successives. Nous l’aurons cherché. Nous prenons un chemin très sûr vers la bêtise et vers la tyrannie (toujours en référence à Socrate qui disait aussi, confronté à ce genre de situations, que non décidément le peuple n’était pas philosophe).

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