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Des « TICE » vues comme symptôme de la perte du capital scolaire 9 septembre 2008

Par Thierry Klein dans : Formation à distance,Technologies.
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Je félicite les lecteurs de mon blog qui ont subi une formation avancée, parfois douloureuse, en Capital Altruiste, mais là, je me dois de vous préciser tout d’abord que « Capital scolaire » est une expression employée par Bourdieu qui n’a RIEN à voir avec le sens économique du mot « Capital ». « Capital scolaire » signifie plutôt « qualité scolaire », ce terme prenant en compte la qualité de l’enseignement et la qualité, le niveau des élèves.

« Perte du capital scolaire » n’est donc qu’une façon un peu pompeuse de parler de la baisse du niveau général. Vous me connaissez, la pomposité et moi, cela fait en général 2. Et je dirais même 3, si ma modestie naturelle ne me l’interdisait.

J’emploie simplement ces termes parce que ce sont ceux de Bourdieu (la pomposité et lui, ça faisait 1,5 au plus) et qu’il a inspiré ma réflexion (si je n’étais pas aussi modeste, je vous dirais que j’ai eu des précurseurs, mais la réalité, c’est que j’ai juste besoin de références plus crédibles que moi).

Les TICE nous sont présentées comme l’avenir, la panacée, le symbole de l’enseignement de demain, les technologies qui créeront des emplois, qui éveilleront nos enfants (je m’arrête là, les lieux communs me manquent). Mais ce que je vais essayer de vous montrer dans ce billet, c’est que, dans une certaine mesure, elles sont avant tout le symptôme de la dégradation de la qualité scolaire.

C’est une situation que je rencontre assez fréquemment. Quelques exemples:

  1. Eric Delcroix écrit sur son blog pourquoi il a refusé d’inscrire sa fille dans une classe pupitre. Pour résumer en une ligne: il y a vu du matériel flambant neuf avec RIEN derrière. Pas de support, pas de suivi, pas de compétence, pas de réflexion éducative. Tout ce matériel (coûteux en capital, à défaut d’apporter du capital scolaire) n’était là que pour masquer, finalement, l’immense vacuité du projet éducatif.
  2. Les budgets de l’Education Nationale sont de plus en plus réduits, le nombre de professeurs diminue. Or, simultanément, on met en valeur un peu partout les investissements TICE les plus visibles et les plus modernistes (laboratoires de langues, ressources informatiques, etc…). Cet effort masque en fait la baisse moyenne du capital scolaire.
  3. De Gaulle refusait d’inaugurer les chrysanthèmes mais aujourd’hui nos politiques (maires, députés, présidents de conseils généraux ou régionaux et même ministres !) inaugurent les TBI. J’ai relevé une bonne dizaine d’articles de journaux sur ce thème dans les deux dernières semaines. A chaque fois, le discours est similaire et convenu (enfin un consensus droite/gauche !). On parle de l’avenir de la nation qui passe par les TICE, de la réduction de la fracture numérique (encore faudrait-il qu’elle existe !). Bref, on masque, une fois encore, l’absence de projet.
  4. Le pays où l’enseignement a été le plus désorganisé dans les 10 dernières années, le Royaume-Uni, est équipé à presque 100% en tableaux interactifs (plus de 400 000 TBI, contre moins de 15 000 en France. Et le pire, c’est que certains en France veulent s’en inspirer !). La raison est que depuis les réformes de Tony Blair (qui par ailleurs contiennent d’excellentes choses), les écoles sont plus en concurrence et se doivent d’afficher des « signes extérieurs » de capital scolaire à défaut d’en posséder toujours. Là encore, symptôme.

Bourdieu toujours, dans La noblesse d’état:

La logique qui pousse les écoles les plus démunies de capital proprement scolaire […] trouve un contrepoids qui impose un effort pour accumuler du capital scolaire, fût-ce au prix d’une exhibition ostentatoire des signes extérieurs de l’avant-gardisme pédagogique: par exemple en déployant des trésors d’invention moderniste, tant en matière d’équipements, laboratoires de langues, ressources informatiques, moyens audio-visuels, qu’en matière de techniques pédagogiques, qui se veulent toujours plus actives, plus modernes, plus internationales.

Rappelez-vous quand même que ce billet est écrit par quelqu’un qui croît fermement que les TICE peuvent jouer dans le bon sens – mais encore faut-il qu’il y ait un sens…

Allez j’ose, parce qu’il est tard: « TICE sans pracTICE n’est que ruine, pour les ânes » !

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Commentaires»

1. Le fou curieux - 21 septembre 2008

Je ne sais pas si tu es de la partie, mais je peux te dire « de l’intérieur », que c’est finement vu. Cela fait maintenant des années que j’assiste impuissant à l’arrosage des lycées par la région en fonds & matériels coûteux et inutiles :
– ordinateurs puissants « remplacés » sans justification (les « vieux » ne peuvent pas toujours simplement être redonner à des écoles …), puisque 95% du travail des élèves est de type bureautique : à quoi servent de gros disques durs et des logiciels M$ là où un gros serveur sous Linux suffirait ??
– équipement ExAO honteusement inopérant imposé par la région sans aucune concertation des enseignants & de leurs besoins
– un système comptable qui rend quasi impossible le choix de fournisseurs plus compétitifs : il faut une sorte de partenariat avec l’établissement scolaire, ce qui exclut la quasi totalité des sites internet ou les promos de grandes surfaces … Sans jurer, loin de là, par tous les discounteurs, il y a vraiment des boîtes qui se gavent…
– et plus généralement fonds publics distribués trop généreusement (les régions sont à gauche …) entraînant des dépenses-gadget en fin d’année civile

Les TBI et autres TICE sont effectivement un paravent à la fainéantise : combien d’heures à « surveiller » des élèves qui surfent en Education Civique Juridique & Sociale ou en TPE, càd qui, au mieux, copient-collent des pages fournies par Google, au pire jouent du ALT-TAB entre un écran immuable du même moteur de recherche et tout autre chose … Mais les inspecteurs poussent à la roue, leurs proches fidèles répandent la bonne parole, en prenant soin de donner mauvaise conscience aux collègues n’ouvrant pas leurs courriels toutes les heures, les parents sont fiers de leur progéniture « tellement à l’aise avec l’informatique » !
Ainsi les élèves ayant déjà le plus fort « capital scolaire » ne se fatiguent pas trop, et tous les autres sont bernés : on ne leur à rien appris, rien transmis, mais ils n’ont pas vu passer le temps … et la « fracture numérique » est en fait bien confortée. L’inspecteur est ravi car l’élève a été « actif », a « construit son savoir en autonomie » (sic), et le prof est réduit au rôle d’animateur de webcafé. C’est tellement mieux que d’essayer de les faire réfléchir avant de taper 3 mots-clé, que de risquer de les ennuyer en leur apprenant qqch qui les sort de leur quotidien …
Alors vous pourrez toujours m’objecter LE prof utilisant les TICE de façon intelligente, et les 3,2 élèves qui sont bien contents de se familiariser avec un ordi qu’ils ne peuvent avoir chez eux, on préfère investir dans du matériel destiné à servir de répétiteur new-look, pour ne surtout pas mettre de profs dans les classes, ils seraient tentés d’éduquer ces futurs perroquets manutentionnaires dont la mondialisation a tant besoin (?) à autre chose qu’un formatage utilitariste et « court-termiste ».

2. Thierry Klein - 22 septembre 2008

Euh oui, je suis un peu de la partie. J’ai créé une société qui s’appelle Speechi (www.speechi.net… Il y a aussi un blog, plus professionnel, mais pour lequel j’avais initialement écrit ce billet).

Speechi (le logiciel que nous cocnevons) est surtout connu dans le supérieur. Dans les classes « sous le Bac », notre TBI est un des plus diffusés. Nous sommes spécialisés sur le concept « enseignement nomade » : http://www.speechi.net/fr/index.php/2007/11/15/nomadisme-religion-mecanique-quantique-et-enseignement/).

3. les z'ed - 25 octobre 2008

Chronique éducative vue par un papa : la situation à la Toussaint…

Pour commencer, quelque réaction suite à la diffusion des épisodes précédents. Tout d’abord Thierry Klein avec son «Des “TICE” vues comme symptôme de la perte du capital scolaire» et également la série de billets de François sur Le B2I® …