jump to navigation

Google, Web 2.0 et les autres: méfiez-vous du gratuit ! 6 avril 2008

Par Thierry Klein dans : Entreprise altruiste.
Lu 6 078 fois | trackback

On confond facilement don et gratuit, en oubliant que si le don est du domaine de la solidarité, le gratuit n’est le plus souvent qu’un modèle économique. Les entreprises du Web 2.0 jouent habilement sur la confusion et cherchent à attirer vers elles le capital de sympathie attaché à la notion de don en parlant de gratuité, de collaboration, de partage, de liberté, etc… (il y a tout un jargon, mille fois ressassé, du Web 2.0).

Le Cheval de Troie de la pub

Le gratuit est donc un don intéressé – et le premier exemple de don intéressé qui me vient à l’esprit, c’est le cheval de Troie.

« Qu’est-ce qui se cache donc dans les entrailles du gratuit ?
– C’est bien sûr la publicité, Monsieur.
– Ah bon ? Ce n’est donc rien de grave ?
– Si, c’est très grave, car la publicité entraîne le monde à sa perte »

Et voici pourquoi.


Depuis environ 40 ans, c’est à dire à peu près depuis le moment où la part des échanges mondiaux a commencé à croître beaucoup plus rapidement que le PNB (1), la publicité s’est développée et a abouti à la prise de pouvoir du consommateur. En tant que consommateurs, nous voulons tous acheter moins cher, faire jouer la concurrence, casser les monopoles, voire même, j’y viens, consommer gratuitement. Problème: en agissant ainsi, nous nuisons, à terme et collectivement, à nos intérêts de travailleur.

En achetant un nouveau téléviseur, je ne suis pas directement responsable de la fermeture de telle ou telle usine. Mais ce comportement, répété des milliers de fois pendant des dizaines d’années, a pour résultat final la délocalisation totale de presque toute l’industrie. Des travailleurs occidentaux ont été remplacés par des travailleurs prolétarisés en Chine ou en Europe de l’Est.

En achetant des produits moins chers, le consommateur occidental crée son propre chômage ou, dans le meilleur des cas, contribue à la perte de ses avantages acquis (il devra allonger son temps de travail, réduire ses vacances, baisser son niveau de prestation sociale, etc…).

Tous ces phénomènes sont communs, avec des décalages dans le temps, à tous les pays occidentaux.

Tout l’art de la propagande publicitaire qui, à la différence de la propagande politique, agit et est produite de façon inconsciente, consiste à masquer au consommateur les effets finaux sur le travailleur.

Je l’ai écrit dans un billet précédent, la publicité est un véritable opium qui agit sur les consommateurs du monde entier. Seule la dialectique marxiste est à mon avis pertinente pour comprendre ce phénomène clé des 50 dernières années, à savoir la prise du pouvoir du consommateur-maître sur le travailleur-esclave (consommateur et travailleur étant le plus souvent une seule et même personne).

Les manifestations les plus évidentes de ce phénomène sont la multiplication des cas de surendettement (où le travailleur est victime de sa propension maladive à consommer, habilement stimulée par la publicité), la crise des subprimes (que j’ai analysée ici), le travail des femmes et d’une façon générale, l’augmentation du temps de travail dans les pays occidentaux (dont j’ai parlé ici).

Le gratuit sur le Web n’a rien d’original, en général.

Google et le Web 2.0 en général sont eux aussi des conséquences de ce phénomène parce que le développement du gratuit, au sens où on l’entend sur Internet, est basé presqu’uniquement sur un modèle publicitaire. Google est la régie publicitaire la plus importante de la planète et on y accède gratuitement. Autrement dit, le bénéfice de Google n’est rien d’autre que le gain qu’il retire de l’augmentation de la propension à consommer de l’internaute.

L’internaute est entrainé par la publicité à consommer plus (donc, à travailler plus, à accroître sa précarité financière, à plus contribuer au réchauffement de la planète, etc…). La croissance mondiale est générée par la publicité et le réchauffement climatique n’est au fond rien d’autre que la résultante des milliards d’inserts, publicités diverses et variées, et aujourd’hui liens sponsorisés que subissent l’ensemble des citoyens de la planète. Comme les molécules d’un gaz qu’on chauffe, les êtres humains sont mimétiquement animés par les milliards de forces infinitésimales que de la publicité nous fait subir.

Il est à noter que l’apparition du gratuit n’est ni nouvelle ni récente, ni même propre aux technologies de l’information. La télévision repose sur un modèle identique à Google. Le modèle économique du vélib parisien aussi (le vélib est quasi-gratuit en échange d’avantages publicitaires concédés à Decaux). Depuis 50 ans, le développement du gratuit va en fait de pair avec l’aliénation croissante du consommateur, qui constitue lui-même une des clés de la mondialisation.

Les alternatives solidaires au gratuit.

Aujourd’hui toutes les initiatives qui visent à préserver certains espaces de toute publicité me semblent absolument vitales. Sarkozy l’a, je l’espère, bien senti en proposant de supprimer toute publicité d’une des chaînes publiques – en substituant l’impôt assumé par le citoyen à l’aliénation de la gratuité, il me semble que l’Etat jouerait son rôle le plus noble.

Surtout, on assiste à la création de régies publicitaires altruistes, qui sont des alternatives humanitaires à Google. Certaines sélectionnent le contenu de la publicité pour qu’il soit de nature responsable, d’autres reversent le revenu des clics à des ONG, d’autres adoptent le modèle du Capital Altruiste, c’est à dire qu’elles se constituent en entreprise et qu’une partie dignificative de leur capital appartient à une ONG, permettant ainsi, à terme, aux ONG de rentrer dans le champ économique dont elles sont aujourd’hui exclues.

Il y a quelques années, quand on demandait à Larry Page, le fondateur de Google, ce qu’il craignait le plus, il répondait que c’était la concurrence d’un inventeur génial qui trouverait une méthode meilleure que Google pour chercher au sein de l’Internet. Il est peu probable aujourd’hui que Google soit un jour vaincu par la technologie. En revanche, il se pourrait bien que Doona et GoodAction soient très dangereuses pour son futur, car la technologie ne peut pas grand chose contre les forces de l’esprit. En attendant, souvenez-vous:

« Timeo Danaos, et dona ferentes »

(Méfiez-vous des envahisseurs, surtout quand ils sont gratuits)

(1) Ce critère définit et caractérise la mondialisation.

(2) Problème: les « intellectuels » qui analysent le phénomène du gratuit sont le plus souvent de vieilles lunes libérales et ne le voient que sous l’angle du marché, ce qui est gravement réducteur. Voir l’article de Transnets (« Gratuit-Danger« ) qui renvoie vers quelques tentatives d’analyse (Chris Anderson, Andy Oram, Alex Iskold).

Billets associés :

Commentaires»

no comments yet - be the first?