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Une critique de l’origine de la domestication et de l’agriculture selon René Girard 5 avril 2007

Par Thierry Klein dans : René Girard.
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Hypothèse de René Girard sur l’origine de la domestication animale (1) : « On a commencé à traiter les animaux comme des êtres humains afin de les sacrifier,en remplaçant les victimes humaines par des victimes animales ».

La principale raison avancée par René Girard pour justifier son hypothèse est que les théories existantes ne lui paraissent guère vraisemblables. En particulier, « le motif initial ne peut pas être l’avantage économique… contrairement à ce qu’imagine le rationalisme un peu court de Régis Debray dans son Feu Sacré. La domestication ne peut pas avoir été programmée ».

Sauf que le « motif économique immédiat » est absent d’énormément d’inventions humaines. Houellebecq définit l’homme comme un « animal ingénieux » est c’est un fait que son activité d’invention s’est déployée tous azimuts, l’intérêt économique de l’invention elle-même ayant un côté presque secondaire.

On reste rêveur devant l’acharnement mis par certains hommes à découvrir des choses totalement inutiles, je vais faire une petite liste évidemment non exhaustive :

  • le premier homme qui a appris à nager a dû mettre des semaines à réaliser quelque chose qui n’a aucun intérêt économique et qui au contraire présente un danger mortel
  • le premier homme qui a fait du chocolat a du préalablement manger des tonnes de cacao amer (quasiment inmangeable). Idem pour le premier sirop d’érable… Quelle mouche a donc piqué l’inventeur pour réaliser et tenter de manger ce sirop ? (Avec n’importe quel autre arbre, vous obtenez quelque chose d’inutilisable… La réalité, c’est que l’homme, en tant qu’espèce, a essayé tous les arbres, aussi incongru que cela puisse paraître. Et avec l’érable, il en a retiré quelque chose).

Bref, la recherche est une activité humaine naturelle, que nous justifions parfois par l’intérêt économique mais dont l’intérêt économique n’est en aucun cas la cause. L’explication fonctionnaliste est bien illusoire, mais cela ne justifie en rien l’hypothèse de Girard.

Dans le cas des animaux, il me semble qu’il n’y a pas de société où des hommes – sinon les hommes – ne sont pas intéressés par les animaux. A partir d’un moment, il doit survenir des hommes qui sans raison nécessaire, pour voir, veulent se rapprocher d’eux, ou les mettre en cage, ou leur couper la patte arrière droite – que sais-je encore ? Plein de choses a priori sans intérêt aucun, comme tenter de faire du sirop avec un érable.

Certains persistent, constatent que les oiseaux, les loups se familiarisent rapidement (quelques semaines pour un oiseau, quelques mois pour un loup affamé (2) ), que les lapins se reproduisent vite, etc… Les petits des loups sont plus familiers… Par hasard, l’un d’entre eux est plus familier que les autres – on le garde. (On peut être sûr que certains hommes sélectionneront le loup le moins familier, parce que l’homme en tant qu’espèce tente TOUT, de telle sorte que si les lois de la sélection naturelle avaient été inversées, l’homme aurait quand même su en tirer un avantage concret). Bref, au bout d’un temps, pas si long d’ailleurs, l’avantage économique est créé.

Autre raison donnée par René Girard : « J’ai lu quelque part que depuis la disparition des sacrifices animaux, aucune espèce nouvelle n’a été domestiquée ». Mais les sacrifices animaux n’ont pas disparu et l’homme tente toujours en permanence de domestiquer des animaux… J’ai vu l’autre jour à la télé un type qui apprivoisait des renards… Evidemment, il avait du mal – et n’en retirait pas d’avantage économique, ce qui fait que son savoir-faire peut se perdre – mais il arrivait à domestiquer des renards, sur 3 ou 4 générations – ce qui représente 2 ou 3 ans… Il est probable que l’homme, lorsqu’il a compris le principe de la domestication, a assez rapidement tenté de généraliser l’expérience pour domestiquer tout ce qui pouvait l’être ou du moins ce qui avait intérêt à l’être.

Au final, l’hypothèse de Girard sur la domestication est extrémiste. L’homme n’a pas besoin de domestication pour commencer à « humaniser » les animaux : un ours ou un singe présentent des traits de similitude évidents, qui peuvent faciliter le sacrifice si l’hypothèse sur le sacrifice de Girard est exacte. La domestication peut apporter une humanisation qui améliore peut-être la qualité du sacrifice, mais son hypothèse ne me semble pas indispensable, ni surtout fondée.

Sur l’origine de l’agriculture, la position de Girard me semble encore plus énorme. « Il y a lieu de penser que, lorsque les êtres humains ont commencé à enterrer des graines – comme ils le faisaient déjà avec le corps de leur proche en espérant leur résurrection-, cela s’est avéré efficace : les graines renaissaient à la vie. Une observation naturaliste de la végétation est tout simplement anachronique parce que les liens de cause à effet n’étaient pas évidents pour les inventeurs de l’agriculture ». Ce serait donc en fait le rituel qui serait à l’origine de l’agriculture.

En fait, il est totalement impensable que l’homme, même le plus primitif, n’ait pas naturellement observé que les graines repoussaient, ne serait-ce que parce qu’aux endroits où les repas étaient pris, il constatait, quelques semaines ou quelques mois après, que les plantes « revenaient ». Ne serait-ce que parce qu’il allait chercher une espèce de plante donnée toujours au même endroit – même les singes font ce genre de choses. Cette simple observation est en elle-même très éloignée de l’invention de l’agriculture, comme l’observation que les éleveurs n’attrapent pas la variole est éloignée de l’invention du vaccin. L’agriculture suppose la systématisation d’un procédé jusqu’à l’obtention d’un certain avantage économique qui est loin d’être évident à obtenir et a pu nécessiter des milliers d’années – alors que l’observation du phénomène de la repousse remonte probablement à la nuit des temps. Mais Girard confond l’observation et l’invention.

L’idée même que les hommes enterrent des graines, avec un résultat positif, (l’agriculture), par analogie avec l’enterrement de leurs proches, qui a un résultat évidemment négatif est probablement une absurdité. Il est beaucoup plus simple, donc plus scientifique, de penser que les hommes ont enterré leurs proches dans l’espoir (qui, déçu, devient rapidement symbolique) qu’ils repoussent, comme une graine.

(1) Les origines de la culture, p.170

(2) C’est beaucoup plus facile d’apprivoiser un animal que d’inventer l’agriculture et c’est pourquoi, dans l’immense majorité des civilisations connues, la domestication est antérieure à l’agriculture. C’est une question de probabilité de découverte.

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Commentaires»

1. Vincent M. - 12 avril 2007

On pourrait imaginer dans une perspective mimétique que le premier homme qui ait appris à nager soit une victime émissaire qui aurait réussi à échapper à la noyade par laquelle la communauté pensait le lyncher. On pourrait penser ça de façon très darwinienne : plein de boucs émissaires se noient mais l’un d’entre eux trouve les bons gestes, sidère la communauté et devient une idole. On renouvelle l’expérience, il survit toujours, il transmet son savoir. Ceci ayant pu se produire en différentes époques et en différents endroits du globe. Et voilà une genèse sacrificielle possible de la natation ! :-))))))

Plus sérieusement, beaucoup d’animaux domestiques demeurent des animaux de sacrifices après leur domestication et Girard prend l’exemple des communautés qui pratiquent le culte de l’ours, l’accueillent dans la communauté avant de le sacrifier mais voilà… l’ours n’est pas une espèce domesticable. C’est donc une tradition qui perdure mais l’ours ne leur rend pas le service que le cheval ou le chien ont pu rendre.

Le fait même de manger de la viande et de tuer les animaux pour cela, je me demande si ce n’est pas une survivance sacrificielle ! Si ce n’était que l’affectivité ou la curiosité qui étaient à l’origine de la domestication, mangerait-on les animaux domestiques ?

Comme vous, bien sûr, je ne sais pas. Les moeurs des chimpanzés me suggèrent même que bien des pratiques sacrificielles humaines ont des racines pré-sacrificielles déjà chez les primates (chasse collective du colobe et d’un espèce de cochon sauvage, massacre collectif de l’intrus isolé d’un autre clan, cannibalisme collectif intra-spécifique parfois… !). Mais la pertinence du principe sacrificiel pour comprendre les hommes est telle qu’il est normal que Girard cherche à l’étendre aussi loin qu’il le peut. Tout cela doit bien sûr être discuté, nuancé, etc. Mais son principe d’investigation, c’est le meurtre collectif et il en déterre tant et tant qui me paraissent tout à fait réels que ses hypothèses même les plus étonnantes en apparences me paraissent avoir du poids. Il faut se projeter dans des mentalités très primitives où tout est teinté de sacré et où le sacré lui-même est empreint de violence… mais d’une violence plus naïve et innocente, certainement, que la violence contemporaine… La curiosité elle-même devait être empreinte de religieux…

2. wagadoogoo - 8 octobre 2008

t4AS RAISON CE MEC EST TOKé il a pris trop de cachetons et trop d’acides continu comme ça ton blog me fait tres rire