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Pour l’anthropomorphisme 24 mars 2006

Par Thierry Klein dans : Animaux.
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Vous n’entendrez probablement jamais un spécialiste du comportement animal s’exprimer sur le sujet sans qu’il se sente rapidement obligé de préciser que « bien sûr », il ne faut pas tomber dans l’anthropomorphisme. S’il ne le faisait pas, il serait immédiatement taxé par toute personne « sensée » d’ignorance ou de sensiblerie. J’ai récemment écouté une conférence de Claudine Andrée, qui a créé une réserve pour les bonobos, et encore ce matin le réalisateur de la Planète Blanche, sur Europe 1. Dans les deux cas, ils précisaient tous deux au bout de deux minutes que « bien évidemment, etc… »

Pourtant, ce refus d’anthropomorphisme, s’il est universellement admis et répandu, n’a absolument aucun fondement scientifique.

Il remonte historiquement aux expériences (cruelles d’ailleurs) faites par Pavlov sur des chiens de façon à introduire chez eux des mécanismes de réflexe conditionné. Si on actionne régulièrement une sonnette avant d’apporter la nourriture au chien, au bout d’un moment, il salivera s’il entend simplement la sonnette, même sans nourriture. C’est le réflexe « conditionné » (en somme, une réaction physique inappropriée induite par un stimulus, après apprentissage).

Jusque là, pas grand chose à dire. Il s’agit de travaux extraordinaires. Mais l’interprétation faite aujourd’hui de ces travaux, dans ce que j’appellerais « l’inconscient collectif scientifique », c’est que:

a) il n’y aurait pas réellement une intelligence chez les animaux au sens où on l’entend chez l’homme. Simplement, il y aurait des apprentissages « conditionnés ». Le mot « réflexe » (toujours dans l’inconscient collectif scientifique), est d’ailleurs plus associé à la moelle épinière qu’au cerveau, ce qui change tout. En gros, l’intelligence de l’animal serait limitée aux « circuits réflexes ».

b) l’intelligence humaine s’opposerait donc par nature au réflexe animal.

Les points a) et b) ne sont pas explicitement exprimés dans Pavlov et ne font pas partie de son oeuvre scientifique en tant que telle. Disons qu’ils « sous-tendent » philosophiquement son oeuvre – du moins la partie que j’ai lue. Il se peut aussi que les traductions induisent des idées un peu fausses chez le lecteur. Par exemple; l’expression « réflexe conditionné » est une erreur de traduction. En réalité, Pavlov parle de réflexe conditionnel, ce qui est beaucoup plus logique et n’induit pas une sorte d’assimilation de l’animal à une machine.

On peut dire que les écrits de Pavlov induisent une certaine vision de l’animal, au même titre que les écrits de Freud induisent une certaine vision de (ou plutôt de non vision !) de Dieu.

Mais ces deux points, qui ne reposent sur aucune base scientifique, sont devenus « un dogme » au sein de la communauté scientifique. Il ne FAUT pas assimiler le comportement animal au comportement humain. Si votre chien remue la queue quand il vous voie, c’est simplement une réponse conditionnée. Honte à vous si vous avez du phénomène une interprétation psychologique: vous faîtes de l’anthropomorphisme ! Le regard « humain » qu’ont les grands singes et l’émotion ressentie quand vous les regardez dans les yeux ? Leur comportement et leurs réactions parfois étonnamment proches de celles des humains, de l’avis unanime de tous les observateurs ? Anthropomorphisme aussi ! La réaction désespérée de la mére phoque qui peut rester plusieurs jours à côté du corps du bébé mort ? Anthropomorphisme, bien sûr. On vous explique qu’elle agit en fait de façon réflexe, par exemple pour continuer à allaiter le bébé ou pour tout autre raison… (Evidemment, j’attends toujours l’expérience qui me prouvera cette interprétation… )

L’avantage – et peut être la raison d’être – du « refus d’anthropomorphisme », c’est surtout qu’il est très déculpabilisant pour Pavlov et la communauté scientifique en général (comme pour les massacreurs d’animaux d’ailleurs). Il s’agit juste d’un lavage de mains collectif bien pratique, qui ne repose sur aucune base scientifique réelle ni aucune base éthique. Le vrai problème est que la notion est devenue si banale que même les défenseurs de la nature, même les meilleurs observateurs des animaux y croient. Il a fallu attendre les années 60 pour qu’enfin soit admise, de façon indubitable chez les grands singes, l’existence d’une intelligence similaire à l’intelligence humaine (résolution d’exercices, complexité de langage, outils).

La réalité, c’est bel et bien que le « refus de faire de l’anthropomorphisme » est une notion qui non seulement n’explique rien, mais qui en plus ne repose sur rien. Au contraire, étant donné la similarité de structure évidente que nous avons avec les animaux, l’explication scientifique la plus simple et la plus raisonnable, en l’absence de preuve du contraire, est que leur comportement repose sur des bases en tous points similaires aux nôtres, et c’est particlièrement vrai, bien sûr, pour les mammifères et les grands singes.

Toute autre approche est de nature anti-copernicienne, c’est à dire qu’elle privilégie sans raison la position de l’Humain.

– La mère du bébé phoque reste plusieurs jours autour de son bébé mort parce qu’elle est complètement désespérée
– Le bébé de l’Orang-Outan s’attache à sa mère morte jusqu’à ce qu’on lui ampute la main (c’est classique) parce qu’il ne veut pas la quitter
– Lorsqu’on a tué sa mère, le bébé bonobo se laisse mourir par désespoir (sauf si on réussit à lui présenter et à lui faire accepter une mère de substitution humaine, qui lui redonne goût à la vie). – Beaucoup d’animaux sauvages ne se reproduisent pas en captivité parce qu’ils en souffrent et qu’ils sont trop déprimés (A noter la différence avec l’homme, qui lui, se reproduit facilement en prison, pour peu qu’on lui en donne l’occasion).
Ca ne vous paraît pas un peu plus éclairant que les réflexes conditionnés, tout ça ?

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Commentaires»

1. Laure - 13 avril 2006

moi je veux devenir mère de substitution. Mais comment fait-on pour en devenir une ?

2. Thierry Klein - 14 avril 2006

Il faut sans doute une bonne expérience préalable de mère porteuse

3. Laure - 14 avril 2006

c’es à dire ?

4. Thierry Klein - 20 avril 2006

A mon avis, voir ici

5. Coralie - 15 juin 2006

Oui, le fait de pointer un soi-disant "anthropomorphisme" a souvent pour but de justifier l’exploitation des animaux…Par exemple, on vous dira "mais non, n’allez pas croire que cette poule en cage souffre, si vous pensez ça c’est que vous faites de l’anthropomorphisme…". Ou bien "mais non, ce taureau dans l’arène ne souffre pas, ce n’est pas un humain voyons, il ne faut pas faire d’anthropomorphisme"…
Voilà souvent le discours de ceux qui refusent de se mettre à la place des animaux, qui leur dénient le fait de ressentir la souffrance, la peur…
Ce discours rejoint au fond celui qui dit "voyons, ce ne sont que des animaux, on peut donc tout leur faire…".

6. Martin - 25 juillet 2006

Comme biologiste, je définirais l’anthropomorphisme comme «l’attribution de pensées et de sentiments humains à des animaux». Ce qui ne veut pas dire que l’animal n’a ni «pensée» ni «sentiments» mais que ces dernières peuvent souvent être éloignées de l’humain. Des exemples : les naturalistes du 18ième siècle croyaient que les fauves se sentaient coupables ou honteux (anthropomorphisme)après une mise à mort et qu’ils se retiraient pour cette raison à l’abri des regards dans les fourrés. On croit maintenant que c’est plutôt pour échapper à l’envie et à l’attaque d’autres prédateurs attirés par la carcasse.
Exemples canins: une amie installait la couche de mon chien dans un espace ouvert, près d’une fenêtre, afin de lui éviter la claustrophobie et qu’il puisse voir à l’extérieur (anthropomorphisme) alors que le chien lui-même préfère se reposer dans un endroit confiné, dans sa cage ou sous une table. Dernier exemple, quand un chien s’approche de vous pour pisser, on peut le prendre comme du mépris (anthropomorphisme) alors que c’est une grande marque de «respect» que le chien dominé fait à un humain qu’il considère alors comme dominant. Imaginez sa confusion quand cette marque de respect est acceuillie par l’humain par des gesticulations et des cris! Enfin, quand je vois l’enthousiasme de mon chien à patauger dans la neige par 20 degrés sous zéro, je ne peux que constater que sa sensibilité au froid diffère radicalement de la mienne!
Ceci dit, des sensations comme la souffrance ou l’angoisse qui procèdent de la même physiologie chez tout les mammifères suggèrent que les sensations qui y sont associées sont les mêmes aussi.
Cela n’empêche pas certains de tomber dans l’anthropomorphisme quand on parle par exemple de cruauté quand les animaux se dévorent entre eux, alors que ce n’est que de la faim…
Enfin, pour ce qui est du bébé de l’Orang-Outan, on aura compris que tout jeune mammifère (même humain)cherche la protection de sa mère, vivante ou fraîchement tuée, et que la réaction à l’amputation de la main n’a rien de particulier à l’Orang Outang si ce que pour relever un détail barbare. Combien de jeunes humains s’accrochent désespérément à leur mère décédée après un bombardement?

7. marie - 22 mars 2007

tout à fait d’accord avec ce que tu écris.
As tu lu l’ouvrage  »quand les elephants pleurent » qui traitent justement de ce thème?

8. marie - 22 mars 2007

je reprends…..sans faute cette fois!!!

As tu lu l’ouvrage  »Quand les ééphants pleurent » qui traitE de ce thème?

9. Thierry Klein - 22 mars 2007

non, je n’ai pas lu

10. Constance - 20 juillet 2007

Il reste tout de même que l’anthropomorphisme est pratiqué par beaucoup, notamment pour parler d’animaux ‘mignons’ qu’on affuble d’un gilet en crochet, ou qu’on met sur les pattes arrières, ‘comme un humain’, en le faisant parler; et là, si ce n’est pas méchant, c’est stupide. Déjà, ne leur imposons pas notre besoin de couvrir notre nudité, les poils(ou écailles ou plumes…) leur vont si bien!! Et, en plus, par là, ce n’est pas respecter l’animal, mais plutôt dire ‘oh, comme il est chou, habillé comme un homme!’, donc on le ridiculise, et on se justifie en disant qu’on les aime bien ces bêtes-là, voyons. Ca, c’est de l’anthropomorphisme si ce n’est dangereux, du moins déculpabilisant, et idiot. Mais c’est ne vouloir garder de l’animal non-humain que ces côtés bien décents et gentils: dès qu’on dépasse le cadre de l’animal domestiqué, on oublie directement sa capacité inéluctable à ressentir, et éviter que son petit chienchien ait froid, en faisant donc de l’anthropomorphisme (on est bien obligé, quand même, c’est un peu nous notre valeur de référence! On ne peut s’empêcher de continuer à percevoir le monde par nos sens à nous), c’est bien plus léger, facile, et différent que de penser à stopper l’agonie lancinante des poules enfermés et privée d’oxygène.

11. Antoine G - 27 mai 2009

Je pense que pour éprouver des sensations telles que le déséspoir, la detresse ou encore la perte du goût à la vie il faut un intellect aussi important que celui de l’homme.
Si les animaux pouvaient avoir de telles émotions, ils pourraient également se suicider, et ils ne le font manifestement pas.
Le bébé qui reste accroché à sa mère c’est parcequ’il est taillé pour ça et qu’il ne peut concevoir autre chose, même si sa mère est morte (car ils n’ont pas uneréelle conscience de la mort, un instinct venu du fond des âges leur pousse à sentir que la mort c’est pas bien).
Rien ne permet d’affirmer que des animaux en cages souffrent ou sont déprimés. Peut être est-ce que les mécanismes entre la survie et la copulation sont liés, et que si l’animal n’a plus à lutter contre l’exterieur et chercher de la nourriture, ses instincts de reproduction sont mis en veille. Tout ce que je viens de dire n’est qu’une opinion, mais elle a autant de valeur que ce qui a été dit plus haut car non prouvée scientifiquement….

12. Thierry Klein - 27 mai 2009

@Antoine:

Absolument, elle a autant de valeur, les 2 étant non prouvées.

Mais en l’absence de preuve (et y aura-t-il un jour une preuve à ce sujet car comment prouver formellement un identité de nature entre les émotions, c’est impossible de la prouver même entre des êtres humains ?), l’attitude la plus « raisonnable » est bien de supposer que les signes externes (ce qu’on appelle « le résultat de l’expérience ») étant identiques, les causes le sont aussi.

Et si nous n’employons pas les mêmes termes pour décrire ces causes, c’est toujours pour nous mettre « à part » (attitude non scientifique que celle qui présuppose que l’homme est différent) ou pour nous dédouaner (comme Aristore justifiait l’esclavage par la nature inférieure de l’esclave).

13. Julie - 21 avril 2012

Attention Thierry à ne pas faire d’amalgame… L’anthropomorphisme n’est pas une notion qui a été inventée pour desservir l’animal! Au contraire, c’est une façon de dire que bien des humains se trompent sur l’interprétation de comportement autre qu’humain… Comme l’explique si bien Martin plus haut, ce n’est pas parce que l’on dit que telle interprétation de comportement est anthropomorphique, que cela signifie que les animaux ne présentent pas d’émotion…
Les sciences du comportement animal actuelles, ont intégré depuis plus d’un siècle le fait que l’Homme n’était pas le seul à présenter des émotions telles que la peur par exemple!
Peut être ne le sais-tu pas, mais la qualification d’anthropomorphisme peut servir la cause animal! Je m’explique:
Il y a de ça quelques années, une marque de lessive utilisait des bébés chimpanzés pour ses annonces publicitaires… Des bébés tout attachant (qui d’ailleurs ont contribuer au fait que la plupart des français de cette génération sont persuadés que la taille adulte d’un chimpanzé est celle qu’ils ont vu dans ces pubs, et que ceux-ci sont des animaux tout mignon-gentil, alors que le chimpanzé atteint aisément 80kg et 1m70 pour les mâles, avec 5 fois plus de force que l’homme). Bref, ces « gentils » bébés présentaient la lessive avec de grand sourrir!!!!!!!!!!!!
Et c’est là qu’intervient la notion d’anthropomorphisme: ce sourrir, perçut par la majorité des français comme de la joie, est une mimique chez le chimpanzé qui se traduit par une peur intense!!!!
Depuis, des associations ont milité contre l’utilisation de primates non-humain dans les publicités, et cette marque à totalement changé sa campagne.
Cet exemple tout simplement pour expliquer que lorsque tu entends (à l’heure actuelle), des scientifique parler d’interprétation de comportement sous réserve de faire de l’anthropomorphisme, c’est simplement qu’aucune étude n’a encore prouvé scientifiquement leurs dires…
En ce qui concerne les études sur la captivité, il faudra que chacun vérifie ses sources… les études sur l’impact de la captivité sur le comportement des animaux, sont effectuées maintenant depuis des années, et je ne pense pas avoir vu une étude publiée disant que la captivité ne stressait pas les animaux… Il faut remettre un peu d’ordre dans les propos: Oui la captivité, et surtout le manque d’espace ou de point commun (d’un point de vue alimentaire, environnementale et social…) affecte le bien être animal! Oui, un animal peut être dépressif, ce qui a été démontré depuis longtemps maintenant, les beaucoup d’animaux sont suivis physiologiquement (taux de cortisol, ….) afin de surveiller le stress de ceux-ci…
Et oui, le monde scientifique à pris conscience de la nécessité d’évaluer et améliorer le bien être animal. Maintenant une simple question… combien d’entre vous sont végétariens? ou achètent de la viande d’élevage en plein air? ou encore des produits non-testés sur animaux? et encore plus simple… ne prenez vous jamais de médicament? Un consommateur averti en vaut deux!
En conclusion, la notion d’anthropomorphisme permet aux scientifiques de modérer leurs propos et interprétations! Maintenant, pour avoir vu de gros bidochons se bidonner devant des singes en se marrant juste parce qu’un babouin était assis dans une postures qu’un homme aurait également pu prendre, j’ai juste envie de dire que l’ignorance est le pire fléau, et que les opinions sont à prendre en considération, mais on ne peut pas avancer certains propos sans vérifier ses sources!