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Le baiser qui tu 9 mars 2006

Par Thierry Klein dans : General.
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« S’il me déplaît d’entendre un homme que je connais depuis deux minutes à peine m’appeler par mon prénom, ce n’est point par sentiment de supériorité, ni que je nourrisse la secrète illusion d’être singulier. Bien au contraire? M’appeler par mon prénom est une manière de m’éviter. Il ne veut surtout pas s’embarrasser de moi, découvrir s’il m’aime ou me déteste; en fait, il refuse de me connaître. Il m’oubliera d’ici quelques instants et ne me verra plus jamais; et donc, en me donnant une tape dans le dos et en m’appelant par mon prénom, comme s’il m’avait toujours connu, il esquive la difficulté de faire réellement connaissance et, en fait, se débarrasse de moi, assez grossièrement, sous couvert de chaleur. »

Romain Gary, L’affaire homme.

Quand vous voyez Loïc et Nicolas se tutoyer mutuellement, il s’agit des deux côtés de fausse simplicité.

  Ce que vous entendez Ce qu’ils se disent en réalité Analogie littéraire
Loïc "Ca ne t’embête pas que je te tutoie,Nicolas, comme on fait d’habitude, tu sais, sur les blogs ?" Tu es plus connu que moi, mais c’est surtout parce que tu es plus vieux. Te tutoyer me met à ton niveau et me fera de la pub. En plus, je te rappelle que tu ne connais rien aux blogs. Julien qui prend la main de Mme de Rênal.
Nicolas "Mais bien sûr que non, Loïc !" Ecoute, j’ai joué à ce jeu là avant toi, petit con, et de toutes façons, c’est toujours moi qui te nique. Holden Caufield qui prend la main de Sarah Bernhardt.

« Assez grossièrement, sous couvert de chaleur… »

Loïc et Nicolas ne sont pas les seuls à jouer à ce jeu là.

Vous avez plein d’exemples comparables dans le champ politique. Rappelez-vous Chirac, en 1988, qui tente d’établir une égalité de niveau avec Mitterrand (« Je ne vais pas vous donner du « Président » mais vous appeler par votre nom, Mr Mitterrand »).

Réponse de Mitterrand, qui avait évidemment tout compris: « Mais vous avez tout à fait raison, Mr le Premier ministre ! »

C’était très fort car Mitterrand se dégageait du piège de la fausse familiarité. Il continuait en fait à vouvoyer Chirac alors que celui-ci, grossièrement, le tutoyait. En plus, c’était très drôle.

(Contexte explicatif: Quelque temps plus tôt, Chirac avait traité Fabius de roquet dans un débat et celui-ci lui avait fait le coût du « N’oubliez pas que vous vous adressez au premier ministre de la France ». Cette réplique avait mis fin à l’avenir politique de Fabius et Chirac tentait dinduire une réaction similaire chez Mitterrand).

L’usage systématique du « tu » a toujours couvert les pires crimes, de l’inquisition au communisme, sous le masque de la fausse amitié. Aujourd’hui, dans les entreprises, le « tu » est souvent utilisé comme une méthode de manipulation.

Je vous renvoie aussi à La Grande Illusion. Dans ce film extraordinaire, peut-être le meilleur de tous, Maréchal (Gabin) fait remarquer à Fresnay (De Boïeldieu):

« Mais enfin vous ne pouvez rien faire comme tout le monde. 18 mois qu’on est ensemble et on se dit encore vous »,

et celui-ci lui répond :

« Je vouvoie ma femme et ma mère ».

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Commentaires»

1. LN - 9 mars 2006

merci Thierry pour ce bon mot du matin, démarrer la journée avec Romain Gary ça fait du bien
BIZ LN

2. tonio - 10 mars 2006

ouaip, bon billet mon pote 😉

3. Vincent M. - 12 mars 2006

Je ne comprends pas toujours tout ; quand je comprends, j’ai très rarement le temps de laisser un commentaire ; mais j’apprécie toujours la lecture de ce blog ! Merci Thierry ! 😉

On m’a raconté ceci à propos de Mitterrand, vrai ou faux, je l’ignore : un syndicaliste, peut-être, ou un communiste, lui aurait demandé "Je peux te tutoyer, camarade ?" et il aurait répondu… "Si vous voulez !" 😉

Soeur Emmanuelle tutoie tout le monde, à la mode égyptienne, et je ne sache pas que ce soit d’une hypocrisie extraordinaire.

Mais il y a bien sûr du vrai dans ce billet (et de l’humour, of course !)…

4. cris - 17 août 2006

J’ai consacre toute ma vie a la musique. Je m’y interesse beaucoup. J’ai envie de creer mon propre groupe musical. J’espere bien que vous me serez utile.