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La reproduction des élites 14 juillet 2005

Par Thierry Klein dans : Elites.
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(La suite de mon billet sur les causes psychologiques de la névrose des élites françaises).

On reproche aux élites leur caractère aristocratique, mais il faut quand même se souvenir que la méritocratie qui régit le processus de sélection des élites n’a rien à voir avec une aristocratie. Au départ, la création des écoles par Napoléon correspond à une volonté de justice sociale absolue, permettant de sélectionner les meilleurs pour le service de l’Etat – il s’agissait donc d’un renouvellement radical des élites aristocratiques existantes.

Aujourd’hui, les élites restent sélectionnées sur des critères objectifs, à savoir la réussite à un concours. Lors de l’épreuve, tous les candidats sont anonymes et même Mazarine Pingeot ne jouit d’aucun avantage. L’épreuve est arbitraire mais juste, les candidats sont sélectionnés sur leurs aptitudes personnelles et la première chose que je répondrai à tous ceux qui critiquent le caractère aristocratique des élites est "Si vous trouvez que cette position est si enviable, pourquoi n’avez-vous pas vous même passé le concours, qui est ouvert absolument à tous ?".

Creusez un peu et dans beaucoup de cas, derrière la critique des élites, vous trouverez envie, frustration, paresse et démagogie.

J’ai dit que l’épreuve des concours était juste. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas sociologiquement biaisée. Que ce soit pour des raisons culturelles ou génétiques (à mon avis les raisons culturelles sont primordiales), les enfants hériteront toujours (1) de qualités et de défauts de leurs parents, y compris de qualités ou de défauts professionnels. Le fils d’un épicier, habitué à tenir la boutique en l’absence de son père, sera certainement plus apte "naturellement et culturellement" à tenir une épicerie que moi (évidemment, si je m’entraîne, j’arriverai peut-être à combler ce retard, mais cela me prendra du temps). De même, le fils d’un chef d’entreprise, ayant pris l’habitude de voir son père développer l’entreprise a bénéficié d’un environnement qui le rend, au départ, plus apte à réussir dans cette tâche que la moyenne. (2)

C’est donc une tendance générale de toutes les classes sociales que de se conserver de génération en génération. Cette caractéristique est moins visible aujourd’hui (d’abord parce que nos démocraties favorisent le mouvement social, ensuite parce que le "politiquement correct" actuel empêche de reconnaître la nécessité du phénomène et qu’on préfère s’en tenir à une illusoire "égalité des chances"). Les élites n’échappent pas à ce phénomène, pas plus que les autres classes sociales (autre façon de dire ceci: toute société stable et organisée a des caractéristiques aristocratiques, qu’on le veuille ou non).

On peut vouloir corriger ce biais. On parle beaucoup de discrimination positive par exemple. Mais j’ai la conviction qu’il est très dangereux de le faire et que les remèdes pourront facilement être pires que le mal.

a) le principe universel sur lequel est bâti notre société

Notre société est basée sur un principe d’égalité des droits très fort. Lorsqu’un candidat (socialement ou ethniquement) défavorisé se présente à un concours, quelle est la correction à appliquer pour corriger sa supposée malchance ? (Ne cherchez pas, vous ne pourrez pas le déterminer). Favoriser un candidat, je ne sais pas si c’est réellement être plus juste envers lui, mais je sais que c’est toujours commettre une injustice vis-à-vis d’un autre.

J’étais étudiant à Stanford de 1988 à 1990, au moment où les théories sur la discrimination positive ("affirmative action")  battaient leur plein aux USA. Des étudiants (noirs, hispaniques ou indiens) pouvaient être admis avec des critères de sélection inférieurs, le but étant de "corriger" le mal qui leur avait été fait en leur donnant une chance supplémentaire de suivre des études universitaires. Cette mesure avait de nombreux effets pervers:

– les employeurs suspectaient tous les noirs sortant de l’Université d’avoir bénéficié de telles mesures et hésitaient à les embaucher, ce qui donc défavorisait les noirs les plus brillants (qui auraient de toutes façons été admis à l’Université, même en l’absence de discrimination positive)

– un certain racisme était généré à l’intérieur de l’Université, certains étudiants blancs reprochant aux noirs de "baisser le niveau"

– cette mesure était de nature symbolique ou cosmétique. Elle ne concernait que quelques étudiants et n’avait aucune chance de corriger les choses au niveau du pays lui-même. Elle masquait la source réelle du problème tel qu’il se posait aux USA à l’époque (et tel qu’à mon avis il se pose en France aujourd’hui), à savoir que le système scolaire était inégalitaire depuis l’origine, depuis les petites classes et que donc un enfant scolairement doué n’avait que peu de chances d’être aidé au cas où son environnement social ou sa situation de fortune – aux Etats-Unis, c’est pratiquement la même chose – lu étaient défavorables. Autrement dit, la discrimination positive était là pour donner bonne conscience et pour masquer la défaillance du système scolaire (primaire et secondaire).

(Cette mesure de discrimination positive n’était pas si choquante aux USA car, pour des raisons d’efficacité, le système scolaire est ouvertement discriminatoire. Exemple: si vous vous présentez à une "Business School" telle qu’Harvard, l’école évaluera votre environnement et vous avez plus de chances d’être admis si vous vous appelez Bush ou Rockefeller, pas par favoritisme, mais parce que suivre l’enseignement de la Business School a de fortes chances d’être plus utile pour le fils Rockefeller que pour une personne moyenne, puisque le fils Rockefeller va évidemment diriger des entreprises. En arrière-plan, il y a sans doute aussi l’intérêt financier de l’Université et donc sa propre survie. Evidemment, cela a du sens mais qui admettrait ça en France ?)

Faut-il donc vraiment s’attaquer à un principe d’égalité universel plutôt que de s’attaquer à la source du problème ? Je pense qu’aujourd’hui la situation est similaire en France. Il ne s’agit pas d’amuser la galerie en admettant à Sciences-Po quelques jeunes des banlieues destinés à servir d’alibis, mais de donner leur chance, de 4 à 18 ans – quand la vraie sélection se fait – à TOUS les jeunes passant par le système scolaire.

b) Donner moins d’importance aux élites

J’ai écrit plus haut qu’on trouvait souvent "envie, frustration et paresse" derrière la critique des élites. Il n’empêche qu’on peut trouver que les élites ont trop d’importance. Est-il normal qu’un jeune étudiant ait un avenir tout tracé, dans l’appareil de l’état ou dans certaines grandes entreprises, simplement parce qu’il a eu une bonne note en maths lors d’un concours ? (Je caricature volontairement, mais beaucoup d’entre nous, après avoir réussi au concours, parlions de l’entrée en grande école et dans la vie professionnelle comme du "départ à la retraite !"). Aux USA, la réussite scolaire joue un rôle important, mais la société semble beaucoup plus dynamique en ce sens qu’on peut plus facilement réussir sans passer par cette sélection – ou échouer dans sa vie professionnelle après avoir fait de brillantes études.

Mais comparée aux USA, la France est une république bananière. Qui plus est, l’Etat et l’administration jouent un rôle beaucoup plus important en France qu’aux USA et les mêmes raisons qui ont fait que Napoleon et de Gaulle ont souhaité une sélection purement au mérite subsistent. S’il n’y avait pas des critères objectifs reconnus pour sélectionner l’accès aux postes offerts par l’Etat (ou par les entreprises), notre pays sombrerait probablement rapidement dans le favoritisme, la corruption et les conséquences probables en seraient un Etat (encore plus) inefficace et une société (encore plus) aristocratique et inégalitaire.

Comme ce billet commence à se faire un peu long, je vais m’en tenir là pour le moment. La suite dans de prochains billets.

 

 

 

(1) Je parle "en moyenne". Il y a évidemment des milliers de contre-exemples particuliers.

(2) Ceci explique pourquoi pendant des milliers d’années des sociétés basées sur la transmission héréditaire des rôles se sont développées de façon tout à fait performantes. La monarchie repose aussi sur ce principe et ce  système de gouvernement a convenu à La France pendant un millénaire. La transmission héréditaire nuit au mouvement social, est "injuste" au sens éthique du terme, mais est assez performante car d’une façon générale, peu de choses préoccupent autant les humains que l’avenir de leurs enfants. Qu’on leur donne simplement un petit privilège à transmettre et ils s’efforceront de le faire le mieux possible.

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Commentaires»

1. Hubert - 22 août 2005

Je commence à bien aimer..
Cela reprend les idées de Bourdieu mais aussi d’autres sociologues qui ont démontré les effets négatifs des grandes écoles à la française.
Un seul avantage qui disparait progressivement d’ailleurs et qui avait été avancé par un article de la Harvard B R des années 80: "The making of french élites", c’était le fait que ces écoles forment dans le même moule les hauts fonctionnaires et les grands dirigeants d’entreprises (à l’époque, d’Etat), et que par conséquent les systèmes de décision politico-économiques à l’échelle de la nation se font entre soi. D’où le TGV, le Minitel, l’Airbus, le nucléaire..
Pierre Lafitte (Sénateur XMines, me disait qu’ils avaient créé la technopole de Sophia-Antipolis avec deux collègues en trois semaines, sans budget, sans loi ni décret, et que tout les décisions structurantes avaient été prises dans la confiance d’un petit club de gens initiés puis régularisés bien plus tard. Cela ne serait plus possible maintenant et on perd donc un des rares avantages des écoles d’élite.

Histoire de vacances: nous sommes attblés à la table commune de la fête de village d’un trou charmand de 20 habitants perdu au fond des montagnes de France. Vient s’assoir un couple et un enfant à binocle. On papotte, et voila Monsieur qui s’annonce comme le député du coin et qui sur une ou deux questions d’actualité posées par nous y va de ses certitudes, de ses critiques, de ses rodomontades, de ses fausses confidences,etc. Cet homme au beau milieu d’une des plus belle scéne de paix et d’amitié rurale nous avait écrasé de sa hauteur parlementaire et technocrate, ne nous avait ni questionné ni écouté une minute: le mépris de nos élites et leur incapacité à écouter.
Ma femme qui les connait bien avait deviné l’homme, et un rapide clic Google me confirmait mon ambition: un polytecnicien fonctionnaire, donc un politicien professionnel (avec contart de fonctionnaire détaché de son corps), formé et entretenu par nous pour nous faire des leçons et nous dire ce qui est bien pour nous!
L’histoire ne dit pas s’il a mis dans son coffre le chien du berger à la place du mouton que celui-ci lui offrait!(pour ceux qui connaissent l’histoire de l’Enarque en Corse)..)

2. Thierry Klein - 22 août 2005

Je pense que je ne suis pas le seul à ne pas connaître l’histoire du chien et du mouton…Je serais ravi de la lire !

3. Hubert - 23 août 2005

Alors: c’est un haut fonctionnaire enarque en vacances en Corse qui, coincé sur la route par un troupeau de brebis engage la conversation avec le berger: Bonjour mon brave, à vue d’oeil vous avez bien là 349 brebis soit un poids CEE de 7631 kilos , et vous touchez alors une prime PAC compensée de 9592 euros, etc. etc.

Le berger: eh bien! ces messieurs de la ville qui ont fait des études! Ils savent compter ben Diou!!
Et pour clore cette rapide amitié le berger lui offre un mouton.
L’enarque en choisit un, le met dans le coffre, remercie et continue sa route.
Jusqu’au village ou les vieux sont étonnés d’entendre des aboiements sortir du coffre. Il ouvre: il avait pris le chien du berger.

(A raconter avec l’accent: corse pour le corse, prefectoral pour l’enarque)

4. Raoul (le vrai) - 4 octobre 2005

Vous me rappelez mon père, qui a fait profession de vos bavardages sociologiques… au moins lui a gagné des galons, un salaire, et les honneurs… où voulez vous en venir? Vous êtes vous posé la question de l’Elite, de sa définition? Est-ce mon meilleur ami qui suite à une bonne opération financière coule des jours heureux au soleil avec quelques missions de ci de là, histoire de se rappeler qu’il est vivant, et de lui faire oublier son chargé d’affaires au sein de la banque privée qui gère sa fortune, et qui adore l’anonymat? Est-ce le voisin de ma maison de campagne dans un pays ensoleillé au sud de l’équateur, qui également tout à fait discret, coule des jours heureux tout en pouvant savourer de bons sites Internet et de bons livres achetés sur Amazon, un tour dans son hélico de temps en temps? Ou es-ce ce pauvre type qui ne vit que de petits fours, que tous ses proches oublient s’il perd son rang de Secrétaire d’Etat, d’Ambassadeur, ou de Président de Région? Celui qui refuse d’aller Ambassader à Buenos Aires, parce que c’est moins prestigieux que d’aller à Moscou… et pourtant plus agréable? Celui qui ne quitterait pour rien au monde Paris, son poste de Chef de Bureau à Bercy, pour quelque occupation moins visible mais plus agréable au quotidien… alors qu’à la moindre occasion il rejoint sa fermette en Sologne? L’Elite… c’est quoi? N’est-ce pas cette race d’hommes qui refusent le servage des habitudes ou coutumes, le servage imposé par le regard des autres et qui se sont donnés les moyens de s’y abstraire par leur capital (intellectuel et/ou financier)? Je dirais simplement qu’un membre de l’Elite ne se voit pas, on peut le rencontrer au détour d’un chemin. Allez, un petit concours. Proposez des tests pour voir si vous faites partie de l’Elite… Histoire d’avoir une chite à ce sommentaire et d’entretenir la Blogosphère.

5. Raoul (le nul) - 4 octobre 2005

Une chute, pas une chite…

6. Toujours lui - 4 octobre 2005

Commentaire… et non sommentaire. Et dire qu’il y ades mecs qui passent du temps sur les blogs.

7. Thierry - 4 octobre 2005

J’entends les élites au sens français, vaguement péjoratif du terme (puisque tout le monde leur tombe dessus). Quand on parle de "race d’hommes qui refusent le servage des habitudes ou coutumes, le servage imposé par le regard des autres", comme Raoul, j’utiliserais alors plutôt le mot "noblesse", au sens historique du terme et surtout au sens ou Stendhal l’entend dans la Chartreuse de Parme, par exemple; Pas grand rapport entre les deux. Les notions ne se recoupent pas (ne s’excluent pas non plus): j’opposerais plutôt noblesse à bureaucratie, comme on oppose la France Libre et Vichy.

8. Royauté-News - 6 octobre 2006

Visitez un nouveau site : Royauté-News !

Le débat sur l’élite ou prétendue telle, nous intéresse.

royaute-news.over-blog.co…

9. de Barrau - 19 janvier 2007

Bonjour,

Sujet fort intéressant que l’on peut appréhender sous différentes perspectives.
On assiste en effet dans notre société contemporaine à une reproduction ancienne et naturelle des élites. L’enseignement n’en est qu’une composante parmi d’autres. De même, il n’y a pas une élite mais des élites.
Ce système de reproduction est-il plus ou moins performant qu’auparavant ? Les deux à la fois. Plus, car plus rapide. Moins, car plus fragile. Est-il plus ou moins dominateur au sein de la société contemporaine ? Moins.
Cordialement.
EB

10. de Barrau - 19 janvier 2007

J’oubliais : La France, plus "République bananière" que les Etats-Unis ? Si vous connaissez beaucoup de sociétés qui ne le sont pas plus ou moins fortement …?
EB

11. Kyo - 2 mai 2007

Etienne,

J’ai lu plusieurs de tes blogs sur le theme "elite" – franchement bravo, ce sont vraiment de bonnes analyses, relativement impartiales (autant qu’un etre humain puisse l’etre), et avec une bonne prise en compte du facteur humain/sociologique.

Vu de ma petite fenetre, il y a clairement eu un echec depuis 30ans dans le processus d’evolution naturelle des elites francaises, qui n’ont pas su depasser les limites du modele cree par Napoleon: elles continuent a suivre les rails ainsi batis, tout en n’ayant aucun objectif clair.

Les raisons en sont multiples, dont:

1) comme tu le mentionnes, l’evolution profonde du role de l’Etat dans la societe
– desetatisation de l’economie, avec certainement un manque de coherence/suivi tant a gauche qu’a droite (*)
– basculement (aujourd’hui quasi-complet) des forces vives de l’Etat depuis missions d’investissement vers des missions de gestion/distribution (la domination de l’ENA sur l’X en est une des consequences)

2) une adaptation mal faite des structures de financement direct des entreprises (VC, PE, etc.) – encore une fois pour N raisons, mais en restant sur une grille d’analyse purement sociologique, ces secteurs en France sont domines non par la "creme de la creme", mais par des rejetons de 2eme ordre de la haute-bourgeoisie economique (de type IEP ou Assas, et/ou ex-institutions financieres francaises), qui sont a des annees-lumieres d’acteurs comme Kleiner Perkins: ils n’anticipent pas, ils mimiquent (mal) ce qui s’est deja fait ailleurs. Les "ingenieurs" francais ont aussi encore un rapport irrationnel vis-a-vis de la finance – saut pour les moins de 35ans, dont un nombre considerable fait de l’ingenierie financiere, avec a la cle 1/3 des derivatives-quants a travers le monde

3) et l’on pourrait aligner sans doute N analyses sur N plans – le seul ‘sous-systeme’ reellement competitif demeure celui des grandes entreprises, qui ont reussi le pari de la mondialisation

Si l’on reprend une grille "elite", je crois que la France (et l’Europe continentale) a loupe le coche de l’emergence de la ‘creative-class’ (sujet deja tres date aux USA, mais qui est arrive en France en 2006 via les elites traditionnelles ‘enseignant au bon peuple’), et est restee coincee au stade ‘professional-class’ – de valeureux "officiers et soldats de la guerre economique" (terme d’ailleurs employe il y a 15ans par Esambert, Pdt de l’X).

Cette approche a ete un succes spectaculaire en 1789 lorsque la jeune Republique se battait contre les empires et royaumes europeens, mais cette "professional-class" s’est ensuite generalise a toute l’Europe, dont evidemment l’Allemagne qui a developpe les meilleures research-universities pendant des decennies…et puis aux USA, ou l’impact des cerveaux europeens emigrant entre 1920 et 1950 a ete a mon avis tout sauf negligeable dans la montee en puissance des research-universities americaines (de von Neumann en passant par d’innombrables professeurs d’ingenierie, histoire, philosophie, etc.), et des "knowledge industries" associees (defense, tech, etc.)

Croire que l’Etat, et des logiques de "grands programmes", peuvent permettre un rebond est a mon avis inapproprie. Oui, l’Etat a un role essentiel a jouer (notamment du cote defense/aero pour differents types de R&D; une NSF-like doit aussi etre batie, a voir ce que deviendra l’ANR…). Mais non, l’on ne rattrapera pas le virage loupe de la "revolution de l’informatique" – au sens de l’enorme industrie software/computer/electronics/semiconductor.

Et oui, il y a sans doute des choses a faire du cote "media/information services" que ne pourra jamais faire le prive, afin de faire effet-levier sur l’infrastructure haut-debit du pays – mais pas des Quaero..

Un dernier point, qui n’est pas lie a ce blog directement, mais a ton commentaire sur le blog de Jean-Michel Billaut: les condamnations d’un seul bloc faites par certains sur le caractere ‘aristocratique’ du modele des Grandes Ecoles sont plutot biaisees, surtout qu’un certain nombre d’entrepreneurs sont des rejetons de la bourgeoisie economique ayant eu d’autres armes pour se demarquer (par ex, creer une entreprise a 22ans apres Assas suppose parfois des moyens financiers, et un entregent, qui sont herites) et qu’en effet le processus de selection est meritocratique au sens scolaire. Ce qui est dramatique est que le caractere ferme, et statique, de ces selections, et des reseaux afferents. J’aimerais croire que la "web2.0 revolution" permettra de faire emerger d’autres modeles plus dynamiques et plus ouverts, mais je ne suis pas encore persuade que cela favorise tant que cela la mixite sociale: comme tu l’indiques, ce qui est le plus primal chez la plupart des etres humains est de donner des avantages competitifs injustes envers leurs enfants…et cela passe aujourd’hui par des acces differencies a l’information, et aux bonnes personnes. Mais c’est tres bien que les "elites" de chaque systeme cooperent et competent, vive l’experimentation, ceci restera humain…

Du cote "elites americaines", je te conseille de lire ceci:

amazon.com/s/ref=nb_ss_gw…

Kyo

(*) et avec des degats collateraux crees par les alternances gauche/droite/gauche, notamment sur l’axe essentiel universite/recherche:
i) dans les annees 70s, le projet de transfert des Grandes Ecoles d’ingenieur parisiennes vers le plateau de Saclay pour en faire une vraie "route 128" (et amorce avec le transfert – tres symbolique – de l’X a Palaiseau) a ete stoppe net en 1981 pour des raisons ideologiques. On a ainsi perdu 30ans, notamment pour mettre en place de vraies "elite research universities", qui ont ete le cornerstone dans les 2 precedentes decades de l’IT-revolution americaine(et non, amha l’Etat US, qui avait evidemment en revanche joue un role-central dans les N revolutions industrielles precedentes de la Silicon Valley jusqu’a DARPANET)
ii) la reforme des institutions de recherche en 1981-1982, sous la houlette d’un ministre communiste, a egalement cree des effets dramatiques, dont toute la communaute des chercheurs (et la societe) paie le prix aujourd’hui. avec, a la cle, des reformes difficiles avec des arbitrages entre generations
iii) la droite n’a, pour le moins, pas fait mieux

ps. disclaimer: Grande Ecole francaise…et MSEE Stanford 🙂

12. Kyo - 2 mai 2007

Etienne,

J’ai lu plusieurs de tes blogs sur le theme "elite" – franchement bravo, ce sont vraiment de bonnes analyses, relativement impartiales (autant qu’un etre humain puisse l’etre), et avec une bonne prise en compte du facteur humain/sociologique.

Vu de ma petite fenetre, il y a clairement eu un echec depuis 30ans dans le processus d’evolution naturelle des elites francaises, qui n’ont pas su depasser les limites du modele cree par Napoleon: elles continuent a suivre les rails ainsi batis, tout en n’ayant aucun objectif clair.

Les raisons en sont multiples, dont:

1) comme tu le mentionnes, l’evolution profonde du role de l’Etat dans la societe
– desetatisation de l’economie, avec certainement un manque de coherence/suivi tant a gauche qu’a droite (*)
– basculement (aujourd’hui quasi-complet) des forces vives de l’Etat depuis missions d’investissement vers des missions de gestion/distribution (la domination de l’ENA sur l’X en est une des consequences)

2) une adaptation mal faite des structures de financement direct des entreprises (VC, PE, etc.) – encore une fois pour N raisons, mais en restant sur une grille d’analyse purement sociologique, ces secteurs en France sont domines non par la "creme de la creme", mais par des rejetons de 2eme ordre de la haute-bourgeoisie economique (de type IEP ou Assas, et/ou ex-institutions financieres francaises), qui sont a des annees-lumieres d’acteurs comme Kleiner Perkins: ils n’anticipent pas, ils mimiquent (mal) ce qui s’est deja fait ailleurs. Les "ingenieurs" francais ont aussi encore un rapport irrationnel vis-a-vis de la finance – saut pour les moins de 35ans, dont un nombre considerable fait de l’ingenierie financiere, avec a la cle 1/3 des derivatives-quants a travers le monde

3) et l’on pourrait aligner sans doute N analyses sur N plans – le seul ‘sous-systeme’ reellement competitif demeure celui des grandes entreprises, qui ont reussi le pari de la mondialisation

Si l’on reprend une grille "elite", je crois que la France (et l’Europe continentale) a loupe le coche de l’emergence de la ‘creative-class’ (sujet deja tres date aux USA, mais qui est arrive en France en 2006 via les elites traditionnelles ‘enseignant au bon peuple’), et est restee coincee au stade ‘professional-class’ – de valeureux "officiers et soldats de la guerre economique" (terme d’ailleurs employe il y a 15ans par Esambert, Pdt de l’X).

Cette approche a ete un succes spectaculaire en 1789 lorsque la jeune Republique se battait contre les empires et royaumes europeens, mais cette "professional-class" s’est ensuite generalise a toute l’Europe, dont evidemment l’Allemagne qui a developpe les meilleures research-universities pendant des decennies…et puis aux USA, ou l’impact des cerveaux europeens emigrant entre 1920 et 1950 a ete a mon avis tout sauf negligeable dans la montee en puissance des research-universities americaines (de von Neumann en passant par d’innombrables professeurs d’ingenierie, histoire, philosophie, etc.), et des "knowledge industries" associees (defense, tech, etc.)

Croire que l’Etat, et des logiques de "grands programmes", peuvent permettre un rebond est a mon avis inapproprie. Oui, l’Etat a un role essentiel a jouer (notamment du cote defense/aero pour differents types de R&D; une NSF-like doit aussi etre batie, a voir ce que deviendra l’ANR…). Mais non, l’on ne rattrapera pas le virage loupe de la "revolution de l’informatique" – au sens de l’enorme industrie software/computer/electronics/semiconductor.

Et oui, il y a sans doute des choses a faire du cote "media/information services" que ne pourra jamais faire le prive, afin de faire effet-levier sur l’infrastructure haut-debit du pays – mais pas des Quaero..

Un dernier point, qui n’est pas lie a ce blog directement, mais a ton commentaire sur le blog de Jean-Michel Billaut: les condamnations d’un seul bloc faites par certains sur le caractere ‘aristocratique’ du modele des Grandes Ecoles sont plutot biaisees, surtout qu’un certain nombre d’entrepreneurs sont des rejetons de la bourgeoisie economique ayant eu d’autres armes pour se demarquer (par ex, creer une entreprise a 22ans apres Assas suppose parfois des moyens financiers, et un entregent, qui sont herites) et qu’en effet le processus de selection est meritocratique au sens scolaire. Ce qui est dramatique est que le caractere ferme, et statique, de ces selections, et des reseaux afferents. J’aimerais croire que la "web2.0 revolution" permettra de faire emerger d’autres modeles plus dynamiques et plus ouverts, mais je ne suis pas encore persuade que cela favorise tant que cela la mixite sociale: comme tu l’indiques, ce qui est le plus primal chez la plupart des etres humains est de donner des avantages competitifs injustes envers leurs enfants…et cela passe aujourd’hui par des acces differencies a l’information, et aux bonnes personnes. Mais c’est tres bien que les "elites" de chaque systeme cooperent et competent, vive l’experimentation, ceci restera humain…

Du cote "elites americaines", je te conseille de lire ceci:

amazon.com/s/ref=nb_ss_gw…

Kyo

(*) et avec des degats collateraux crees par les alternances gauche/droite/gauche, notamment sur l’axe essentiel universite/recherche:
i) dans les annees 70s, le projet de transfert des Grandes Ecoles d’ingenieur parisiennes vers le plateau de Saclay pour en faire une vraie "route 128" (et amorce avec le transfert – tres symbolique – de l’X a Palaiseau) a ete stoppe net en 1981 pour des raisons ideologiques. On a ainsi perdu 30ans, notamment pour mettre en place de vraies "elite research universities", qui ont ete le cornerstone dans les 2 precedentes decades de l’IT-revolution americaine(et non, amha l’Etat US, qui avait evidemment en revanche joue un role-central dans les N revolutions industrielles precedentes de la Silicon Valley jusqu’a DARPANET)
ii) la reforme des institutions de recherche en 1981-1982, sous la houlette d’un ministre communiste, a egalement cree des effets dramatiques, dont toute la communaute des chercheurs (et la societe) paie le prix aujourd’hui. avec, a la cle, des reformes difficiles avec des arbitrages entre generations
iii) la droite n’a, pour le moins, pas fait mieux

ps. disclaimer: Grande Ecole francaise…et MSEE Stanford 🙂

13. Faut-il sauver les grandes écoles ? - 5 juillet 2007

Bonjour, le livre de Pierre Veltz intitulé « Faut-il sauver les grandes écoles ? » vient de paraître aux Presses de Sciences Po. Sur le site http://www.veltz.fr, vous trouverez des entretiens vidéos, des extraits du livre, le sommaire et bien d’autres liens. Merci !

14. MARC J-Pierre - 15 avril 2008

Bonjour,
Je trouve toutes ces remarques très intéressantes et j’ai sur mon blog des notes sur ce sujet important. Mon histoire personnelle illustre les éléments brillamment mis en évidence par Pierre Bourdieu.

Au plaisir d’échanger (y compris sur le e-learning pour lequel je me passionne).