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Les formes élémentaires de l’aliénation (réponse à Enzo) 22 février 2010

Par Thierry Klein dans : Aliénation,Politique.
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Enzo a laissé une diarrhée de commentaires sur mon précédent article « L’aliénation choisie ».

En fin d’écoulement, Enzo finit par écrire qu’il ne sait pas très bien ce qu’est l’aliénation (ce qui fait que pour lui, à la fin des fins, tout devient « une question de curseur »). Il y a pas mal d’autres choses, positives et négatives, à prendre dans les commentaires d’Enzo qui sont aussi intéressants par leurs « a priori » et en particulier ce que j’appelle « l’a priori féministe ».

J’y répondrai progressivement, dans ce billet et dans ceux qui suivront, mais en attendant, tu n’as pas idée du plaisir que je prends, cher lecteur, à affirmer des conjectures, à les écrire sur ce ton professoral et pontifiant et à les regrouper sous un titre pompeux, un peu comme un professeur en classe prépa (on a le syndrôme de Stockholm qu’on peut !). Sans penser que tu vas (peut-être) les lire. Rien que pour ça, ce blog est totalement irremplaçable. Merci, merci, merci !

Le concept d’aliénation suppose une victime et un oppresseur, ainsi qu’une sorte de « collaboration » entre la victime et son oppresseur. Pour bien comprendre les différentes formes d’aliénation, il faut s’intéresser au côté conscient ou inconscient de la victime, au côté conscient ou inconscient de l’oppresseur et aussi à la réalité de l’oppression (il n’est en effet pas toujours évident de savoir s’il y réellement une victime et un oppresseur).

On peut jouer presqu’à l’infini avec tous ces paramètres et s’en servir pour créer une typologie des aliénations.
L’esclavage: contrainte et aliénation

Dans l’esclavage, la victime est consciente et l’oppresseur est, le plus souvent, lui aussi conscient de l’oppression. Dans ce cas, on ne parle pas d’aliénation mais plutôt de contrainte. La notion d’esclavage est incompatible avec la notion de liberté individuelle ce qui fait qu’il n’est pas toléré dans les pays dont la législation découle plus ou moins « des Lumières ». Cette situation reste une exception historique et l’esclavage reste une structure fondamentale du développement de l’humanité à travers presque tous les âges.

Dans certains cas, l’esclavagiste peut être inconscient. Aristote réduit l’esclave au rang « d’objet animé », dont la vocation est d’être commandé et justifie ainsi la légitimité de l’esclavage par l’intérêt commun du maître et de l’esclave. On peut dire qu’Aristote rationalise ainsi une structure dont il tire évidemment un avantage personnel, comme le faisaient les esclavagistes américains ou Afrikaners (comme le font aujourd’hui les néo-libéraux qui justifient les excès du capitalisme par son utilité finale) mais c’est prendre un homme génial pour un pur imbécile.

Plus probablement, Aristote voit dans l’esclavage une sorte de « structure stable et naturelle de développement de l’humanité », au sens où un structuraliste pourrait aujourd’hui la concevoir. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’est pas certain qu’Aristote soit juste un pré-hégélien ou un pré-marxiste, totalement inconscient du côté arbitraire et injuste de la relation « maître / esclave » (il évoque d’ailleurs ces deux aspects). Aristote raisonne surtout en politique et voit les inconvénients qu’il peut y avoir à casser cette relation pour le bon développement de la société. En ce sens, il est aussi un « post-marxiste » qui a su tirer les leçons de la chute du Mur – le communisme, c’est à dire la destruction systématique de toutes les relations capitaliste / travailleur, fussent-elles injustes, ne fonctionne pas car il ne crée pas un modèle politique harmonieux de développement, une « structure stable et naturelle de développement de l’humanité ».

[Par rapport à quelqu’un comme Elisabeth Badinter, il se pourrait bien qu’Aristote ait 100 ans d’avance et non pas 2000 ans de retard. Je m’expliquerai plus en détail sur ce point dans mon prochain billet.]

Le servage

Dans le cas du servage, tel qu’il est pratiqué en France au Moyen-âge, il est clair que seigneur et serf sont en grande partie inconscients, sans que le côté contrainte de la relation ne soit jamais totalement éliminé cependant. Le Noble est certain que sa supériorité repose sur des critères génétiques et de caractère, le Serf voit dans la société une structure naturelle – on est dans un cas d’aliénation à peu près pur, si l’on admet que l’oppression est bien réelle (elle l’est, au moins sous l’angle de la liberté politique ou des droits de l’homme – 2 critères auxquels j’ accorde beaucoup de valeur, mais dont l’objectivité me force à reconnaître le caractère arbitraire et exceptionnel au sens historique).

Cette forme d’aliénation disparaît de façon tout à fait remarquable: la prise de conscience de l’aliénation la fait disparaître.

Avec Voltaire et Beaumarchais, Noble et Serf perdent progressivement l’illusion de leur différence. La demande « naturelle » du serf pour la liberté n’est plus contrebalancée par la croyance du Maître en sa supériorité. L’ordre naturel des choses s’effondre. La Révolution française n’a lieu que parce que les Nobles ne croient plus en leur supériorité intrinsèque. Ils ne se battent alors plus que pour conserver des privilèges. Ce combat est perdu d’avance, ne serait-ce que sur le plan moral.

Le travailleur et le capitaliste.

Marx nous parle d’une aliénation inconsciente du travailleur par le capitaliste et décrit, dans le premier livre du Capital, comment se crée la dépendance et l’oppression. Pour lui, le travailleur n’a que l’illusion de la liberté mais la plus-value qu’il crée par son travail est intégralement captée, à ses dépens, par le Capitaliste.

[A noter, pour Enzo, que Marx, comparant les taux de surtravail (2) de l’esclave, du serf et du travailleur montre que l’aliénation par le travail est la pire qui soit – au sens où l’ouvrier, en pourcentage de son temps de travail, passe plus de temps au bénéfice de son patron que l’esclave antique ou que le serf. En ce sens, l’aliénation capitaliste est pire que l’oppression esclavagiste].

L’aliénation dont parle Marx est de nature inconsciente, au moins pour l’ouvrier, qui n’a que l’illusion de la liberté. Marx crédite le capitaliste d’un plus haut niveau de conscience et montre comment l’exploitation ouvrière est organisée de façon rationnelle.

La réalité de l’aliénation marxiste reste à prouver. A partir du moment où le travailleur est formellement libre (d’aller voir ailleurs, de relire son contrat…), peut-on vraiment changer la société et les lois sur le présupposé que c’est un imbécile qui se laisse aliéner ? La gauche vous répondra « plutôt oui » (et c’est pourquoi elle a des tendances liberticides, au sens où elle veut changer les choses contre le gré de gens dont la prise de conscience n’a pas « encore » eu lieu), la droite vous répondra « plutôt non » (et c’est pourquoi elle a des tendances anti-sociales et un lien très fort avec la bêtise, puisqu’elle cherche avant tout à protéger et à nier des privilèges qui lui sont pourtant littéralement jetés sous les yeux ).

De toutes les façons, on reste dans le domaine des sciences sociales, c’est à dire en dehors du domaine de la science (3) et toujours dans le domaine de la conjecture, même s’il y a des degrés dans le niveau de la conjecture. Un des drames des sciences humaines est que les plus grands découvreurs, comme Marx ou Freud, pensent que leurs conclusions sont de nature scientifique alors que seule leur approche l’est. Là aussi, il me semble qu’Aristote, n’ayant pas cette illusion, leur est supérieur.

[Tu t’indignes et tu bous, cher lecteur qui te sens une fibre sociale, mais comme toi, je pense que les situations sociales que décrit Marx sont inhumaines et doivent être combattues. Simplement, la réalité de l’aliénation est un problème différent. Le fait qu’il y ait des situations inacceptables ne prouve pas en soi l’aliénation. Il se pourrait que les situations inacceptables soient inévitables, comme le pense Malthus, et que la notion d’aliénation procède d’un autre trait de caractère humain: la recherche d’une cause facile et pour tout dire, d’un bouc-émissaire.]

Marx a étudié la révolution française, Lénine et les bolcheviks sont littéralement captivés par son exemple et pensent qu’il est possible de renverser le régime capitaliste comme les Lumières ont renversé la Royauté, à ceci près que la prise de conscience aura lieu après la révolution et non pas avant. Il faut au moins deux présupposés pour penser ceci: penser que l’aliénation est réelle (j’ai déjà parlé de ce premier point) et surtout penser qu’une société de type marxiste-léniniste peut constituer un « état stable de l’humanité ».

Les bolchevicks négligent ce point car la Révolution française a débouché, certes après beaucoup de massacres et de guerres, sur une société totalement nouvelle, sans esclave, bâtie autour d’un principe de liberté et d’égalité : cet état de choses tient maintenant sans trop grosse contrainte depuis deux siècles. On est sorti d’une structure stable pour aller tout naturellement vers une autre structure stable – et cette nouvelle stabilité empêche le retour en arrière (la Restauration). Il apparaît aux Bolcheviks que le plus dur, c’est de réussir la révolution.

Mais la vraie question, on le sait à présent c’est celle-ci: la structure qu’envisage Marx (ou plutôt Lénine) pour sa société peut-elle être stable ?

La question reste posée puisqu’un échec, celui de la période 1917-1989, ne peut pas prouver l’impossibilité théorique (4). De façon scientifique, je ne peux donc pas répondre non, mais de façon sensible et empirique, je pense profondément que la correction de l’aliénation par la prise de conscience est une vision de l’esprit (5), que les sociétés bâties selon les principes marxistes sont forcément inhumaines et ne peuvent, en tant que telles, perdurer de façon stable. En gros, ma position vis à vis du marxisme est « quelle que soit la réalité du phénomène constaté par Marx, le remède qu’on nous propose est pire. Et la possibilité même d’un remède de nature structurelle et permanente n’a pas encore été établie. ».

(La révolution française: une révolution qui réussit et qui aboutit vers un modèle de société stable.
Le communisme : une révolution qui réussit et une société qui échoue, car non stable.)

Le féminisme, l’aliénation maternelle.

Pour les féministes, l’aliénation de la femme est un processus inconscient pour la victime et plus ou moins conscient pour l’homme (comme chez Marx, on prend l’opprimé pour un imbécile mais on fait en quelque sorte honneur à l’oppresseur en lui accordant un degré de conscience assez élevé. On peut excuser ce travers et penser que, s’il y a réellement aliénation, l’indignation que montrent les féministes et Marx envers l’oppresseur est somme toute assez naturelle).

Mais là aussi, y a-t-il aliénation ? Dans le modèle « la femme au foyer, l’homme au boulot » qui a prévalu jusque dans les années 60 dans notre société, il est difficile de déterminer oppresseur et victime. Il y a juste partage des tâches, l’homme faisant indirectement vivre à la famille à travers son temps passé au travail et la femme directement par le temps passé au foyer.

L’aliénation féministe est encore plus difficile à mettre en évidence que l’aliénation marxiste. Au moins Marx peut-il mettre en évidence une captation de plus-value, qui constitue une sorte de « symptôme » aliénant – sans que l’aliénation elle-même ne soit formellement prouvée. Mais rien de tel chez les féministes. Pas de lien d’intérêt direct entre homme et femme, juste une contribution pour un objectif commun. Depuis au moins 50 ans, la femme est aussi tout à fait libre de travailler (c’est à dire, au sens marxiste, libre de s’aliéner). Donc il n’y a pas non plus contrainte, au sens où je le définissais précédemment dans ce billet.

Les liens entre féminisme et marxisme.

Les deux reposent sur la dénonciation d’une structure d’aliénation inconsciente et non démontrée (ce qui fait que les féministes comme les marxistes sont de gauche), mais ces aliénations sont inconciliables et opposées: si les femmes travaillent « comme » les hommes, ce qui est le cas aujourd’hui, l’exploitation des travailleurs augmente (en gros, il faut deux personnes aujourd’hui pour faire vivre un foyer alors qu’il en fallait une il y a un siècle. Le temps passé à faire la vaisselle est troqué contre le temps passé à s’acheter le lave-vaisselle. Est-ce un progrès ?).

En augmentant la taille de « l’armée de réserve », les femmes mettent les travailleurs de tous les sexes en concurrence au bénéfice du Capitaliste, qui profite à la fois de l’augmentation de la réserve de travailleurs et de celle du nombre de consommateurs (c’est à dire du marché). (6)

Le slogan féministe : « A travail égal, salaire égal ! (pour les femmes)». La réalité « A travail égal, salaire inférieur » (pour tous !).

Il semble honteux, pour les féministes, d’invoquer la « loi naturelle » pour justifier la femme au foyer, ou simplement la femme qui élève son enfant. Il n’y aurait là qu’aliénation. Les deux hypothèses étant des conjectures, qui plus est non exclusives l’une de l’autre, j’ai plutôt tendance à croire en la réalité d’une loi naturelle, observable chez la plupart des espèces animales et dans la plupart des sociétés, qui fait que la femme a plus naturellement « envie » de s’occuper de ses enfants que l’homme.
Je ne suis pas sûr que le mélange à égalité des rôles parentaux corresponde à une structure stable de la société et je pressens autant d’inconvénient à imposer ceci qu’il a pu y en avoir à imposer une structure marxiste de la société.

Le capitalisme moderne crée aujourd’hui des foyers où les enfants sont laissés à l’abandon par les parents des deux sexes – au mieux, ils sont laissés à l’éducation des tiers (professeurs, nounous, etc…) – le but final semblant être de pouvoir les équiper de Nike. On a troqué l’éducation parentale contre des biens de consommation. Mais une des sources de la supériorité de l’homme, c’est sa capacité à transmettre aux générations futures et son principal risque de survie, en tant qu’espèce, c’est son incapacité à maîtriser sa consommation, qui se traduit par l’épuisement des ressources dont il vit.

La femme au travail, au regard de ces deux critères, apparaît donc avant tout comme un élément de développement non durable.

(J’espère que comme Enzo tu m’excuseras, cher lecteur, pour cette phrase qui peut sembler provocatrice mais dont j’admets volontiers que le principal intérêt est de fournir une chute élégante à ce billet qui commence à se faire un peu long mais qui est loin d’être terminé. Je t’infligerai rapidement une suite dont la trame est la suivante: aliénation et névrose, l’aliénation consommatrice, imprégnation et aliénation, aliénation allemande et Lebensraum, aliénation envie et victimisation, le syndrôme de Stockholm humain, l’aliénation animale, une modélisation physique des sociétés stables).

(1)Cela semble un point évident, mais ce n’est pas si facile à montrer. Si le critère est la liberté ou les droits de l’homme, l’oppression du serf par le seigneur est réelle.
(2)Dans le temps de travail de l’esclave ou du travailleur, Marx distingue le temps nécessaire pour assurer sa subsistanceies du temps (sorte de minimum de travail incompressible) du temps qui enrichit ou accroît le confort de son oppresseur (sorte d’unité de mesure de l’aliénation).
(3)On est dans le domaine de la science quand on est capable de prédire des phénomènes de façon quantitative à partir de lois déduites de l’observation.
(4)Qui plus est le marxisme-léninisme ou le stalinisme ont à peu près autant de choses à voir avec Marx que l’Eglise de l’Inquisition avec les évangiles.
(5) Comme l’est, au niveau individuel, la correction de la névrose par la prise de conscience.
(6) Un problème politique intéressant en découle. Dans la mesure où les aliénations s’entrechoquent, une société sans aliénation est-elle possible ou simplement souhaitable ? Selon quel modèle les aliénations s’entrechoquent-elles ? Je sens ton impatience, cher lecteur, surtout si ton nom est Enzo et j’essaierai de te fournir quelques conjectures à la fin de ce billet.

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Commentaires»

1. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

Bigre… je vais donc commencer par m’envoyer une triple dose de Smecta avec de reprendre ma … logorrhée ?.

Ce qui m’épate, c’est que même Alain Soral (qui n’est pourtant pas mon copain) sait que le modèle de la femme au foyer n’a existé que dans la bourgeoisie – ce qui lui permet de dénoncer le féminisme comme une valeur bourgeoise, mais c’est un autre sujet.

Donc dire que « l’exploitation des travailleurs augmente (en gros, il faut deux personnes aujourd’hui pour faire vivre un foyer alors qu’il en fallait une il y a un siècle) » me parait être une contre-vérité historique totale.

Au XIXème siècle, les enfants de prolétaires ou de fermiers travaillaient très jeunes, et les fils (quelquefois filles) de bourgeois étaient « laissés à l’éducation des tiers ». Le modèle de la mère au foyer qui élève ses enfants ? Je cherche encore un livre du XIXème siècle où il y ait le moindre exemple d’un tel personnage.

Bref, quand tu dis « On a troqué l’éducation parentale contre des biens de consommation », je pense que cette phrase ne s’applique qu’à deux voire trois générations de familles catholiques des années 50-70 qui ont envoyé leurs enfants en grande école, et aux enfants de ceux-ci. Biais de l’observateur.

Je suis peut-être un brin provocateur mais je suis curieux de lire ta réponse.

2. Thierry Klein - 22 février 2010

Le biais de l’observateur est d’autant plus inexcusable qu’il n’est pas catholique !

3. Thierry Klein - 22 février 2010

Sérieusement, je peux passer un peu de temps à te répondre là dessus mais c’est un point super mineur de l’argumentation. Il fallait bien que ce billet se termine. Si tu admets simplement que la mise au travail des femmes, augmentant l’armée de réserve et la taille du marché, est l’allié objectif du Capitaliste, on peut avancer.
(Et je parle de travail au sens où l’entend Marx, travail salarié. Evidemment que la femme au foyer travaille, mais ce n’est pas « un travailleur » au sens de l’analyse marxiste).

4. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

Oui pour dire que le capitaliste préfère les mères au travail, d’autant plus si d’autres femmes moins bien payées vont faire les nounous pour celles qui travaillent. Mais ça ne va ni dans ton sens ni dans le mien.

Mais si tu considères mon argument « historique » sur les mères au foyer comme mineur, je t’en donne un deuxième. Tu dis ça :
« Marx, comparant les taux de surtravail (2) de l’esclave, du serf et du travailleur montre que l’aliénation par le travail est la pire qui soit – au sens où l’ouvrier, en pourcentage de son temps de travail, passe plus de temps au bénéfice de son patron que l’esclave antique ou que le serf. »

C’était sans doute vrai à l’époque de Marx, mais ce que tu sembles oublier, c’est que le travail de Marx n’a pas servi QUE lors de l’URSS de 1917 à 1989 comme tu le dis plus haut.

Elle a justement servi à ce que des syndicats comme la CGT et ses avatars occidentaux négocient pendant un siècle environ des accords avec le patronat, qui font qu’aujourd’hui le travailleur n’est plus un esclave.

A l’arrivée, deux grosses approximations historiques (sur la femme au foyer et le temps de travail) qui font que je n’arrive pas à adhérer à la moindre ligne de ton raisonnement sur cette page, et pour être franc, ça me fait un peu de peine. J’attends mieux de toi !

5. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

Par ailleurs, remplacer « catholique » par « bourgeois » dans ma réponse n°1 donnera effectivement plus d’acuité à mon propos.

Mais heureusement que tu n’as pas dit « pas TRES catholique », sinon tu marquais 5 points au Challenge Georges Frèche (blague !)

6. Thierry Klein - 22 février 2010

@4. Sérieusement, c’est aussi un point mineur, à tel point que tu le trouves entre []. Il s’agissait de répondre « en passant » à un de tes commentaires « on pourrait mettre l’aliénation par l’esclavage au même plan que celle par le travail ». Ce que j’ai voulu montrer, c’est que justement, on n’ose pas les mettre sur le même plan, car l’un est une contrainte et que l’autre est censé être une liberté, mais que le niveau d’exploitation produit par la contrainte peut être, dans bien des cas, plus modéré que celui qui découle du travail. En telle sorte qu’un esclavage librement consenti aurait bien des avantages par-rapport au travail en régime capitaliste.

Sinon, le taux de surtravail varie dans un sens comme dans l’autre. Le travail demandé aux esclaves chez les Grecs était souvent de nature humaine et modérée (ce que prône d’ailleurs Aristote). Rien à voir avec les colons américains du XVIII siècle. Je reviens de Chine et je te prie de croire que la situation est assez proche de celle décrite par Marx et pèse bien plus, statistiquement, que les avancées sociales obtenues en Occident. Qui plus est, je te trouve optimiste quant à la stabilité de ces avancées sociales. Du fait de la mondialisation, nous importons aujourd’hui les conditions de travail chinoises.

« J’attends mieux de toi ! »
C’est un peu le drame d’une vie. Tout le monde attend mieux de moi, ça fait 47 ans que ça dure. J’attends un déclic.

7. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

En fait il y aurait un excellent sujet, c’est celui de la répartition de la richesse entre travailleur et capitaliste (le fameux 1/3, 1/3, 1/3 de Sarko). Ca mériterait que tu ouvres un topic à part, car il n’est pour moi lié ni à l’aliénation ni au féminisme.

J’ai l’impression qu’entre le XIXème et 1968 (Grenelle), il y a eu un rééquilibrage lent mais réel en faveur du travailleur. Puis une zone d’inflexion entre 68 et 83 (crise d’un côté, programme social du PS de l’autre). Depuis la « révolution capitaliste » du PS français, simultanément au Thatchérisme et au Reaganisme, le balancier est reparti en faveur du capitaliste (et du rentier). Et encore plus fort depuis 2007.

8. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

 » J’attends un déclic. »
C’est bon, déjà tu as réussi à me faire rire.

9. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

Ouaip, sur la Chine, tu as complètement raison. Un sacré effet pervers du marxisme, non ?

Il y a des femmes au foyer en Chine ? Question vraiment innocente, hein… C’est déjà pas mal d’ailleurs qu’il reste des femmes, vu la politique de l’enfant unique des années Mao.

10. Thierry Klein - 22 février 2010

Je ne suis sans doute pas aussi marxiste-léniniste que Sarkozy. Ce que tu dis est vrai sur la répartition: voir le bouquin de Bob Reich, pompé par Bayrou ensuite et les analyses de Rocard.

Sur le reste, il va falloir que tu attendes mon prochain billet.

11. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

En tous cas j’aime bien ta manière de formuler sans avoir l’air d’y toucher des sacrés points de débat. Exemple :

« Dans le modèle « la femme au foyer, l’homme au boulot » qui a prévalu jusque dans les années 60 dans notre société (*), il est difficile de déterminer oppresseur et victime. Il y a juste partage des tâches, l’homme faisant indirectement vivre à la famille à travers son temps passé au travail et la femme directement par le temps passé au foyer. »

(*) juste pour la forme, je remplace « notre société » par « les familles bourgeoises occidentales ».

Le mot « juste » est assez intéressant. Veut-il dire équilibré ? conforme à la justice ? et laquelle ? Anyway, je ne cherche pas à critiquer ton affirmation, puisque depuis on est passé à un autre modèle. Où la femme travaille en dehors du foyer, et où l’homme est censé compenser en prenant en charge une « juste » part des tâches du foyer.

Le hic, c’est que la frontière était bien plus évidente avant, que maintenant. De là à y voir un ingrédient (parmi d’autres) du manque de stabilité des couples du XXIème siècle, ça me titille.

12. Thierry Klein - 22 février 2010

@9
La Chine est avant tout une dictature capitaliste (en train de prouver au monde que la dictature n’est pas soluble dans le capitalisme). Il y a des centaines de millions de femmes au foyer (ou plus exactement s’occupant des enfants). Le critère de la femme au foyer n’est cependant pas pertinent, l’armée de réserve est gérée avant tout par l’interdiction de circuler entre provinces industrialisées et provinces agricoles.

13. Thierry Klein - 22 février 2010

« juste » = « simplement ». Pas de jugement de valeur implicite, ce n’est pas mon genre.

14. Thierry Klein - 22 février 2010

Au final, ce qui est quand même cool avec le néo-capitalisme que nous connaissons aujourd’hui, c’est qu’il laisse libre cours aux cadres supérieurs d’échanger des conneries à partir du bureau, le temps nécessaire étant pris sur le temps de travail, mais ne diminuant cependant pas énormément le taux de surtravail, dans la mesure où les cadres dirigeants concernés sont simultanément actionnaires. Quand on sait qu’au moins 50% des mâles impliqués dans ces échanges partagent les tâches ménagères, il est clair que ni Marx, ni Elisabeth Badinter, ni Friedman ne peuvent avoir quoi que ce soit de négatif à dire sur ce sujet.

15. Love15 (Enzo) - 22 février 2010

Merci pour le Bob Reich, je ne connaissais pas et c’est précisément le genre de livres dont je raffole. Commandé.

J’essaye de te rendre la pareille avec un livre qui est sorti la même année que celui de Bob Reich :
http://livre.fnac.com/a2450413/Patrick-Viveret-Reconsiderer-la-richesse?Fr=0&To=0&Nu=4&from=1&Mn=-1&Ra=-1
Apparemment dur à trouver… Si ça te tente, dis-moi, je pourrai te le prêter quand on se verra (niark niark)

16. Les formes élémentaires de l’aliénation (2) : la névrose - 26 février 2010

[…] Billet précédent : Les formes élémentaires de l’aliénation (1) […]

17. Thierry Klein - 26 février 2010

(Je te réponds rapidement sur « “l’exploitation des travailleurs augmente – en gros, il faut deux personnes aujourd’hui pour faire vivre un foyer alors qu’il en fallait une il y a un siècle)” et « “On a troqué l’éducation parentale contre des biens de consommation”.

– Le modèle de la femme au foyer est bien présent dans la société française et il suffit de regarder les modèles publicitaires de 1900 à 1960 pour s’en rendre compte. La pub ne se trompe pas car malheur à la boîte qui se trompe de cible. Pour les livres, regarde le rôle de la femme dans la famille ouvrière chez Zola, par exemple.

– Courant à la mode: « contester le modèle avec des stats ». Mais aucune prise en compte dans ces stats du temps partiel, des variations culturelles (femmes d’agriculteurs inscrites comme « au travail » alors qu’elles sont au foyer, etc…). Quoi qu’il en soit, même dans le pire des cas, on est passé d’au plus 25% des femmes dans la population active (1900) à presque 50% aujourd’hui.

– Dans le même temps, la productivité a augmenté de quelques points chaque année, ce qui fait que même sans invoquer le quasi-doublement de la population active du fait du travail féminin, le doublement (triplement/quadruplement…) de la productivité rendent aberrant le fait que presque toute la population mondiale soit encore au travail, alors qu’on produit plus en 1h aujourd’hui qu’en 10h il y a 100 ans.

– Seul ce gain de productivité et l’emballement de la consommation que le capitalisme a permis (ou plutôt suscité) ont empêché la thèse marxiste de la « paupérisation croissante » de s’exercer. Problème, aujourd’hui, la consommation physique de biens et marchandises ne peut plus augmenter du fait des limites physiques terrestres.

– Le phénomène s’est accéléré dans les 30 dernières années, c’est certain, mais il remonte (au moins) à Ford, qui est le premier à théoriser qu’il faut que ses employés soient assez riches pour acheter ses voitures (Smith et Marx comprennent tout ça avant Ford, mais Ford est le premier capitaliste à le mettre en musique de façon consciente).

Bref, j’aurais pu dire de façon plus juste « On a troqué, ENTRE AUTRES, l’éducation parentale contre des biens de consommation » car en fait, on a abandonné pas mal d’autres choses en chemin. J’en parlerai dans le billet « L’aliénation consommatrice ».

18. L’aliénation consommatrice (1) - 21 mars 2010

[…] Suite de mes billets sur l’aliénation. […]