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Vous consommiez ? J’en suis fort aise. Eh bien: travaillez maintenant ! 7 février 2008

Par Thierry Klein dans : Politique.
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Pour Marx, maître et esclave sont clairement distincts. La classe dirigeante opprime ; le prolétariat est exploité (1).

Depuis 50 ans environ, nous assistons à une fusion des concepts qui correspond très exactement à ce que nous appelons la mondialisation.

En tant que consommateurs, nous voulons tous acheter moins cher et faisons jouer la concurrence. Pour répondre à cette contrainte, les entreprises s’adaptent et mettent la pression sur leurs employés – les travailleurs. Le consommateur est devenu l’oppresseur du travailleur, position devenue parfaitement schizophrène au fil des années, car dans l’immense majorité des cas, le consommateur est un travailleur.

Cette lutte entre le consommateur et le travailleur est une des clés de l’époque, mais elle a été longue à se faire jour. D’abord, nous avons une tendance naturelle à refouler toute mauvaise conscience liée à nos actes d’achat à partir du moment où le mot « moins cher » est inscrit sur l’étiquette, ensuite et surtout, les conséquences de cet acte d’achat ne permettent pas de remonter aux actes précis d’un individu – ce qui nous rend tous irresponsables – et sont différées dans le temps, parfois de plusieurs dizaines d’années.

En achetant un nouveau téléviseur, je ne suis pas directement responsable de la fermeture de telle ou telle usine. Mais ce comportement, répété des milliers de fois pendant des dizaines d’années, a pour résultat final la délocalisation totale de presque toute l’industrie. Des travailleurs occidentaux « pré-conscients » (au sens marxiste du terme) ont été remplacés par des travailleurs prolétarisés en Chine ou en Europe de l’Est.

Dans la lutte impitoyable qui opposait travailleur et consommateur, le consommateur a gagné à plate couture. Il n’y a pas eu de « prise de conscience » au sens marxiste du terme ; au contraire, la publicité et le marketing ont fait rentrer le travailleur marxiste dans le monde enchanté de la consommation..

Ce que le Capital n’a jamais réussi à faire, ni aucune religion, la publicité l’a réussi de façon totalement involontaire ! .

Au nom de « la liberté de choix », les grands monopoles (téléphone, électricité…), les services publics ont disparu ou sont en train de disparaître. .

Pour que le consommateur occidental puisse faire jouer à plein son « droit à consommer » toujours moins cher, le monde s’est globalisé. Mais en achetant des produits chinois, le consommateur occidental crée son propre chômage ou, dans le meilleur des cas, contribue à la perte de ses avantages acquis (il devra allonger son temps de travail, réduire ses vacances, baisser son niveau de prestation sociale, etc…)..


La gauche est gênée aux entournures. Tout discours visant le pouvoir d’achat immédiat des plus faibles paraît indécent à ses yeux. Or le pouvoir d’achat des plus faibles en France, c’est l’exploitation d’autres faibles (en Chine), puis, ensuite, l’importation de la baisse de niveau de vie en France. On le voit bien aujourd’hui..

D’une façon générale, la droite a un peu mieux perçu et surtout mieux utilisé le phénomène. D’abord, cela fait longtemps que le patronat a compris que ses travailleurs étaient aussi des consommateurs (Ford voulait déjà faire des voitures assez bon marché pour que ses ouvriers puissent les acheter). .

Ensuite, la valeur des entreprises est corrélée à la croissance de leur chiffre d’affaires, partant, à la consommation générale. Et tous les actionnaires du monde se sont donc naturellement donnés la main pour tenir le discours du consommateur roi ; les départements marketing ont été leurs talentueux – et aveugles – porte-voix. A noter encore une fois que cette collaboration a été involontaire et inconsciente – le publiciste qui fait la pub de la dernière Renault n’a pas une capacité d’analyse supérieure au consommateur qui achète chez Leclercq – d’ailleurs, c’est souvent la même personne ! .

Concrètement, dans une logique de droite, tout l’art consiste à convaincre le consommateur au détriment du travailleur – en masquant les effets futurs sur ce même travailleur. Je vous cite quelques exemples en vrac :.

– travailler le dimanche (au nom du droit à consommer à toute heure, du droit au loisir, etc…). D’une façon générale, augmenter la durée du travail, au nom du pouvoir d’achat (« travailler plus pour gagner plus »), au nom du droit de Guy Roux à entraîner à 67 ans, etc….

– libéraliser le secteur des télécoms ou de l’électricité (au nom du droit à choisir son opérateur).

– déréglementer la grande distribution (au nom du pouvoir d’achat).

– favoriser le travail des femmes (pour qu’elles soient économiquement indépendantes, pour augmenter la consommation).

On peut évidemment avoir une autre lecture des mesures ci-dessus. Certaines sont considérées comme étant « de gauche ». Certaines sont pour moi tout simplement souhaitables. Je vous en donne juste un éclairage de nature marxiste.

Parmi les quatre points ci-dessus, il ne vous aura pas échappé que la dernière (le travail des femmes) et la première (l’allongement du temps du travail) structurent autour d’elles une grande partie de l’activité économique du siècle passé et du siècle à venir. J’y reviendrai dans mon prochain billet.

(1) Je me souviendrai toujours de la synthèse de mon prof d’histoire de 5éme – un communiste pur et dur – à propos du Moyen-âge.

« La Noblesse gouverne,
La Bourgeoisie s’enrichit,
Le Clergé prie,
Les paysans travaillent. »

(C’était dicté sans la moindre once d’humour, je vous prie de le croire !)

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Commentaires»

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